Depuis le 17 juin 2015, le gouvernement dominicain dit avoir déporté 80 000 personnes à la frontière haïtienne où près du tiers d’entre eux vivent dans des camps improvisés aux abris de carton, sans aucune installation sanitaire, ne recevant d’appuis que d’organisations sociales haïtiennes elles-mêmes sans grand moyens. Près de 20 cas de choléra ont été déclarés et une dizaine personnes y sont décédées. Ce n’est là que le dernier chapitre d’une longue histoire de discrimination de la part des autorités dominicaines.
Pourtant, à partir des années 1920, des Haïtiens ont grandement contribué à la richesse de la République Dominicaine, s’esquintant dans la coupe de la canne à sucre, un secteur de l’agriculture où les conditions sont dignes du temps de l’esclavage.
Au milieu des années 1980, la baisse des prix du sucre a amené un grand nombre d’entre eux à trouver du travail dans d’autres secteurs agricoles, dans la construction, l’industrie touristique et le travail domestique. Travailleurs informels dans l’économie informelle, encore là mal payés, ils sont systématiquement discriminés par des patrons et par des autorités racistes, considérés comme des citoyens de seconde classe, alors que leur travail est indispensable à l’économie du pays. Ils sont 500 000 travailleurs étrangers dans le pays, dont environ 85% seraient originaires d’Haïti.
Au milieu des années 1990, les secteurs nationalistes dominicains xénophobes, particulièrement envers les Haïtiens, qualifient leur présence d’« invasion pacifique » et réclament des mesures sévères pour limiter l’immigration haïtienne et restreindre l’obtention de la nationalité dominicaine. Pour atteindre ces objectifs se multiplient alors des lois et des mesures administratives et judiciaires doublées de tracasseries administratives.
L’histoire de Violeta et Sofia en témoigne. Dans les années 1990 la mère de Violeta a voulu inscrire ses 6 enfants aux registres civils. Ses trois enfants de père dominicain ont reçu les documents, mais pas les enfants du père haïtien, lequel n’avait pas de papiers d’identité. Violeta n’a pu étudier au-delà du primaire, car les cartes d’identité sont nécessaires à l’inscription au secondaire. Sofia, la fille de Violeta née en 1995, n’a pas non plus de papiers d’identité puisque sa mère n’en a pas, et n’a pu accéder au secondaire, et il en sera de même pour ses enfants.
Le cas de Violeta a été porté devant la Cour interaméricaine des droits de l’homme et il a donné lieu en 2005 à une sentence et des demandes de réparation à la République Dominicaine portant sur le droit à l’identité et à l’éducation.
En dépit de cette sentence, la République Dominicaine persiste dans sa négation du « droit du sol », norme internationale qui accorde automatiquement la nationalité de ce pays aux enfants qui y sont nés et ce, indépendamment du statut migratoire des parents : mais pas la République Dominicaine. Par la suite, les autorités ont décidé que les enfants nés de parents en situation irrégulière n’auraient jamais dû avoir droit à la nationalité dominicaine et applique cette décision rétroactivement à 1929! De plus, une redéfinition du statut de travailleur étranger élimine toute possibilité de devenir citoyen dominicain.
C’est donc la presque totalité des travailleurs étrangers et leurs enfants qui se voient refuser la nationalité dominicaine : ils deviennent des apatrides, des sujets sans aucun droit et d’une grande vulnérabilité. Sans accès à l’éducation, aux soins de santé, au travail dans le secteur formel, ils ne peuvent non plus se marier, inscrire leurs enfants aux registres civils, se déplacer dans le pays sans crainte d’être arrêtés, voyager à l’extérieur du pays, ou ouvrir un compte bancaire. Et ils sont expulsables à souhait. Ils seraient près de 200 000 dans cette situation.
Des mécanismes de rectification mis en place en 2014 par le gouvernement n’ont donné que de minces résultats et les apatrides sont encore nombreux.
Au vu de ces graves violations, la Concertation pour Haïti demande au Canada d’intervenir auprès du gouvernement dominicain afin :
- de mettre en place des mécanismes efficaces d’octroi de la nationalité dominicaine et des droits qui en découlent aux travailleuses et travailleurs étrangers dont la majorité est d’origine haïtienne;
- d’assurer que les instances gouvernementales impliquées dans le traitement des procédures de nationalisation accordent aux demandeurs un traitement respectueux et non discriminatoire;
- de cesser les expulsions et déportations des populations d’origine haïtienne de son territoire.
Madeleine Desnoyers
10 décembre 2015
pour les membres de la Concertation pour Haïti:
- Alternatives
- Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)
- Centre internationale de solidarité ouvrière (CISO)
- Centre justice et foi
- Comité de solidarité de Trois-Rivières (CS/TR)
- Développement et Paix
- Église Unie du Canada
- Équitas
- Fédération des travailleuses et des travailleurs du Québec (FTQ)
- L’Entraide missionnaire
- Solidarité-Union-Coopération (SUCO)
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