Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l’AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Marie Brodeur Gélinas, chargée de programme pour les Journées québécoises de la solidarité internationale (JQSI) à l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI). L’article traite de la culture comme outil d’influence politique, sujet thématique de ces Journées, qui se tiennent cette année du 9 au 18 novembre.
Dans quelle culture baignons-nous? Comment influence-t-elle le politique, et vice versa? En quoi fait-elle écran à une plus grande solidarité entre les peuples?
Les démarches d’éducation – scolaire, populaire, à la solidarité internationale – impliquant une compréhension de l’Autre (Poché, 2015) se heurtent régulièrement à des croyances profondément ancrées sur les identités culturelles et leurs rapports au monde. Ainsi, en Europe, en Amérique du Nord et en Océanie, une des croyances fortement intériorisées est celle de l’Occident-référence. Porteur de solutions économiques, sociales et politiques nécessaires au reste du monde, celui-ci devrait partager ses Lumières (ou les imposer, selon les lieux ou les époques) aux populations du reste du monde. Si la culture occidentale comporte en effet de multiples pistes de solutions respectables pour l’humanité, il n’en reste pas moins que cette croyance fait ironiquement fi des causes structurelles des inégalités mondiales dans lesquelles les élites de l’Occident jouent un rôle historique fondamental.
D’où vient donc ce mythe très proche de celui du « white savior » souvent dénoncé par les mouvements antiracistes? Mieux le comprendre pourrait permettre de mieux agir pour la construction d’un monde non raciste et solidaire via l’éducation, dont le potentiel transformateur peut être très puissant.
Amanda Machado, une auteure américaine spécialisée en éducation, identifie des acteurs sociaux qui alimentent ce mythe aux États-Unis : Hollywood, le système scolaire, la politique étrangère et les témoignages d’expériences « humanitaires » dans les pays du Sud. Quatre lieux de discours qui renforcent l’idée d’un empire-modèle à la rescousse du monde.
Machado fait pertinemment écho à la démarche d’une vingtaine d’organismes québécois de solidarité et de coopération internationales qui explorent, sur une campagne de trois ans, «les rôles d’acteurs sociaux dans la compréhension qu’a la population québécoise des enjeux internationaux ». L’an dernier, le rôle des médias fut examiné; cette année, celui de la culture.
Quel est le rôle de la culture dans notre propre compréhension des enjeux internationaux?
Quel est le rôle de la culture dans notre propre compréhension des enjeux internationaux? Tout d’abord, la culture industrielle définie par l’école de Francfort (Marcuse, 2012) légitime les pouvoirs militaire, économique et politique en place. Chomsky identifiait ainsi les trois pôles de pouvoirs au service de l’élite politique : Wall Street, le Pentagone et Hollywood (Berman, 2006). En effet, dans les films à grand budget, l’individu héroïque et solitaire construit souvent sa fortune à l’image de l’american dream en combattant des ennemis destructeurs semblables à ceux de l’armée américaine (les communistes durant la Guerre froide, les Français lors de la deuxième guerre du Golfe, et maintenant, les arabomusulmans), tandis que les stéréotypes raciaux renforcent aussi la ségrégation domestique.
À l’occasion, ces histoires dénoncent aussi les systèmes. Mais réussissent-elles à aiguiser ainsi l’esprit critique de l’auditoire? Ou ne suscitent-elles qu’un soulagement cathartique ? Par exemple, les fans de Star Wars sont-ils vraiment plus sensibles aux menaces à la démocratie états-unienne comme le souhaiterait George Lucas? Les fans des Hunger Games se révoltent-elles contre l’exploitation de la population au profit de l’élite comme le fait Katniss Everdeen ? La Constance du jardinier a-t-il inspiré le boycottage des multinationales coupables d’abus de pouvoir envers les populations appauvries du monde?
Au contraire, à force de taper sur les mêmes clous (par exemple le terroriste cagoulé moyen-oriental), de larges pans des enjeux qui secouent l’humanité tels que les changements climatiques, les inégalités économiques criantes – et surtout leurs causes – restent dans l’ombre.
Bien que le mythe du « white savior » soit peu évoqué en coopération internationale, les mouvements de décolonisation rivalisent d’humour cynique sur les médias sociaux pour le dénoncer.
Qu’il s’agisse du compte Instagram de la Barbiesavior, fière de prendre des selfies durant son séjour de « volontourisme », des clips humoristiques où des communautés africaines prennent en pitié des retraités norvégiens et les parrainnent (un clin d’œil au parrainage d’enfants), ou envoient des radiateurs en Norvège (comme nous avons tendance à faire livrer du matériel, usager de surcroît, au Sud), ces initiatives prennent acte de l’ironique rôle de « sauveur » que l’Occident s’est donné. Un rôle qui persiste dans bon nombre de communications officielles, notamment parce que les bailleurs de fonds exigent des preuves de l’efficacité des acteurs du Nord bien plus que de la valorisation des projets provenant des communautés au Sud.
Et c’est au cinéma qu’on retrouve mille fois représenté ce sauveur blanc dont le modèle nuit autant au mouvement antiraciste qu’à la solidarité internationale. Tant de populations appauvries qui agissent que sous l’impulsion inespérée d’un visiteur occidental ! Et alors que les personnages racisés de certaines œuvres originales agissaient et luttaient, leurs équivalents du septième art apparaissent soudainement blanchis à l’écran, quand ils ne sont pas carrément racontés via une équipe de tournage blanche, leur langue d’origine remplacée par un anglais teinté d’exotisme.
Ces images et ces messages véhiculés dans la culture industrielle construisent une certaine idée distordue de la coopération internationale, malheureusement trop souvent associée à une relation d’aide charitable où la population du Nord distribue matériel et expertise à des populations qui en seraient dépourvues. Non seulement on peine à trouver des exemples d’œuvres, surtout au cinéma, qui redonnent toute la dignité, la résilience et la volonté d’agir aux communautés du Sud, mais tout se fait dans un silence assourdissant concernant les principales causes des inégalités, qui n’ont rien de naturel et tout de systémique. Pourtant, les luttes et réalisations du Sud pourraient fournir de formidables scénarios! Les exemples inspirants abondent, comme on peut le constater dans ce dossier consacré aux projets de coopération internationale dans lesquels la culture joue un rôle clé d’influence politique.
Comment les inviter à poser des gestes de solidarité, dans une perspective de réparation et de réconciliation, quand on leur a toujours présenté l’Autre comme celui qui attend d’être sauvé ?
Comment faire, alors, pour alerter les populations occidentales aux rôles que jouent leurs élites dans ces inacceptables inégalités ? Comment les inviter à poser des gestes de solidarité, dans une perspective de réparation et de réconciliation, quand on leur a toujours présenté l’Autre comme celui qui attend d’être sauvé ?
Les comités organisateurs des Journées québécoises de la solidarité internationale (JQSI) font le pari de dédier l’édition 2017 au rôle de la culture dans notre compréhension des enjeux internationaux. Pour donner des outils aux consommatrices et aux consommateurs de culture qui souhaitent mieux comprendre les mécanismes qui sous-tendent un nombre important de productions culturelles, mais aussi pour souligner le pouvoir émancipateur de l’art engagé ainsi que l’importance des droits culturels. Décidément, la culture comme outil d’influence politique comporte plus d’une facette.
N’hésitez pas à contacter Ève Claudel Valade, coordonnatrice du blogue Un seul monde, pour en savoir davantage sur le blogue ou connaître le processus de soumission d’articles. Les articles publiés ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’AQOCI, du CIRDIS ainsi que de leurs membres et partenaires respectifs.
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