Le gouvernement Harper a annoncé dans son plus récent budget, déposé jeudi à la Chambre des communes, qu’il intégrait l’ACDI au sein du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. L’objectif serait de mieux intégrer la lutte à la pauvreté aux autres outils de l’État canadien sur la scène mondiale, soit la diplomatie et le commerce.
Sans passer inaperçue, cette décision a cédé le haut du pavé cette journée-là aux nouvelles concernant le budget fédéral. Il s’agit pourtant d’un virage majeur dans l’approche canadienne de l’aide internationale qui mérite que nous nous y attardions un peu. Cela dépasse la simple refonte administrative comme pourraient le prétendre certains qui tentent de diminuer la portée de cette annonce.
Depuis leur première élection en 2006, Stephen Harper et ses conservateurs n’hésitent pas à modifier le portrait du Canada. Nous ne parlons pas ici de jeux budgétaires, de changements de politiques ou de nouvelles priorités pour l’État fédéral, mais bien de modifications structurelles majeures difficilement réversibles qui engagent le Canada pour des années, et peut-être bien au-delà du mandat conservateur. C’est le cas, par exemple, de la réduction de la TPS de 7 à 5 %, entre 2006 et 2008, que les gouvernements futurs auront peine à réinstaurer. L’abolition de l’Agence canadienne de développement international est du même ordre. Quiconque songera à la recréer, à l’avenir, sera confronté à une énorme tâche pour convaincre les Canadiens qu’il faudrait faire marche arrière sur cette décision prise en 2013.
C’est pourquoi le virage qu’impose ici le gouvernement conservateur ne doit pas faire l’objet d’une simple annonce ministérielle, et d’un suivi législatif qui passera à la va-vite à la Chambre des communes et au Sénat. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, le ministre responsable de l’ACDI, Julian Fantino, le ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, John Baird, et même le premier ministre Harper doivent faire une démonstration solide de ce changement dans l’approche gouvernementale en développement international, et présenter des études substantielles et indépendantes pour le soutenir.
Ce fardeau de la preuve ne signifie pas que ce virage administratif et philosophique soit une mauvaise chose pour les Canadiens qui versent quelque 3,5 milliards $ de leurs impôts pour l’aide internationale dans 20 pays ciblés. Mais preuve doit en être faite.
Depuis l’annonce de jeudi, plusieurs observateurs ont pris position sur la question. De façon générale, la réaction semble plus positive que négative. De fait, l’argument du regroupement des forces canadiennes à l’international a du bon. En Afrique subsaharienne, par exemple, un pays récipiendaire de la générosité du Canada avait parfois de la difficulté à comprendre que l’ambassadeur du Canada n’avait que bien peu à dire sur une initiative canadienne réalisée sous la coupe de l’ACDI. Mais c’était le cas : le travail sur le terrain était souvent réalisé par une organisation non gouvernementale (ONG) indépendante, financée par l’ACDI et relevant d’un ministre autre que celui qui dirige la diplomatie canadienne. Bref, le bras gauche agissait de façon indépendante du bras droit, et la coordination pouvait s’avérer parfois boîteuse.
L’ACDI a été crée en 1968 parce que l’aide internationale du Canada prenait de l’ampleur et que les véhicules d’aide utilisés jusque là ne suffisaient plus, estimait-on. Le ministre Flaherty soutient que l’objectif de cette réorganisation n’est pas d’en réduire le budget (et souhaite-t-on, de ne pas déplacer ses centaines de fonctionnaires vers Ottawa, afin de préserver le fragile équilibre de la fonction publique en Outaouais québécois), ni d’en réduire l’impact. Les remises en question de son efficience et les nombreuses priorités qui se sont ajoutées à son mandat au fil des ans ont brouillé le portrait de l’ACDI aux yeux des Canadiens. Le gouvernement Harper doit éclaircir l’image de l’ACDI avant de la jeter en pâture aux dieux d’une autre réforme administrative.
La Presse, Le Droit – Par Pierre Jury
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