Avec l’orientation que le gouvernement Harper semble vouloir donner à l’aide internationale canadienne, les organismes devront-ils se détourner des besoins des plus vulnérables de la planète? Pire, craint François Audet, directeur de l’Observatoire canadien des crises et de l’aide humanitaire (OCCAH), l’aide canadienne pourrait même devenir nuisible à la lutte contre les inégalités.
La décision du gouvernement conservateur d’intégrer l’Agence canadienne du développement international (ACDI) au ministère des Affaires étrangères, annoncée jeudi dernier dans son budget 2013-2014, a suscité des critiques de plusieurs organismes.
Celle qui revient le plus souvent : en perdant son indépendance, la mission de l’ACDI pourrait disparaître et se fondre avec les objectifs de la politique étrangère canadienne.
« D’ici cinq ans, il n’y aura plus de distinction entre les intérêts canadiens » et l’aide internationale, alors qu’auparavant, cette dernière cherchait à répondre aux besoins des pays du Sud, estime François Audet dans une entrevue accordée lundi à Radio-Canada.
« Si l’aide canadienne sert à financer des projets d’extraction miniers à l’international, on élargit davantage l’écart entre les riches et les pauvres, alors que l’aide devrait au contraire tenter modestement de les rapprocher. » — François Audet, directeur de l’Observatoire canadien des crises et de l’aide humanitaire (OCCAH)
« L’aide internationale vise à payer la facture sociale du néolibéralisme », explique-t-il. Sa position repose sur la prémisse que le néolibéralisme permet aux Occidentaux de conserver leur qualité de vie tout en maintenant les pays en voie de développement dans un état de pauvreté, ce qui entraîne des conflits. « On le sait, on ne paie pas les prix officiels de la banane, du café, de la consommation quotidienne. »
Par exemple, « l’industrie extractive crée plus de pauvreté que de richesse à travers le monde […] La richesse se crée au niveau des pays occidentaux qui ont des compagnies minières. »
Une réorientation qui ne date pas d’hier
Selon François Audet, le nouveau statut de l’ACDI ne fait que « fermer le couvercle » sur un changement d’orientation déjà bien amorcé au cours des dernières années.
François Audet, directeur de l’Observatoire canadien des crises et de l’aide humanitaire En janvier dernier, l’OCCAH dévoilait que depuis l’arrivée des conservateurs au pouvoir, les organisations à caractère religieux ont reçu 42 % plus d’argent d’Ottawa, alors que l’aide gouvernementale aux ONG laïques n’a augmenté que de 5 % au cours de la même période. « On peut parler d’une certaine forme de confessionnalisation de l’aide étrangère », avait alors résumé M. Audet.
Par ailleurs, les fonds accordés à l’éducation du public, qui vise à informer « la population sur ce qui se fait en matière d’aide internationale », se sont vus rapidement coupés avec l’élection des conservateurs.
Aussi, les organismes qui étaient très critiques vis-à-vis du pouvoir, dont le Conseil canadien de la coopération internationale, se sont vues « coupés » ou « fermés », tout comme les organisations qui prenaient position en faveur des Palestiniens dans le conflit au Proche-Orient, ajoute M. Audet.
Avec ce changement de philosophie, les organisations se voient contraintes d’entrer dans le moule, donc de relayer la politique étrangère canadienne.
« [Les organisations] ne peuvent plus parler, ne peuvent plus faire de plaidoyer parce qu’elles ont peur de se faire couper les vivres. » — François Audet, directeur de l’Observatoire canadien des crises et de l’aide humanitaire (OCCAH)
Or, le problème ne se poserait pas si les organismes pouvaient compter sur d’autres sources de financement. Mais « le don du public au Canada n’est pas très important », affirme M. Audet.
« Il y a peu de sensibilisation, ce qui fait que les gens sont peu interpellés par la pauvreté dans le monde […] Donc les organisations dépendent beaucoup du gouvernement. »
Une agence québécoise?
Lui aussi critique de l’approche d’Ottawa, le ministre québécois des Relations internationales Jean-François Lisée a annoncé mercredi qu’un projet d’Agence québécoise de solidarité internationale était à l’étude.
François Audet fait remarquer que cette idée n’est pas nouvelle. Selon lui, « le Québec n’a pas les moyens d’avoir une agence indépendante avec ses propres fonds », mais il croit que l’idée mérite d’être discutée.
« On voit à travers cette mobilisation-là un symptôme » de la « perte d’une place publique, où l’on pouvait construire une politique étrangère, où les ONG se sentaient écoutées à Ottawa », avance-t-il.
Des Maliens près d’un convoi humanitaire dans un camp de réfugiés, en octobre dernier. En 2011, le gouvernement canadien a investi 110 millions de dollars pour le développement du Mali. Photo : AFP/AHMED OUOBA
François Audet, directeur de l’Observatoire canadien des crises et de l’aide humanitaire
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