Responsables aussi du monde
La contribution de la société civile québécoise à la solidarité internationale
Responsables aussi du monde, nous voulons jouer pleinement notre rôle dans la construction de rapports plus justes et solidaires entre les peuples. C’est là l’engagement pris par les États généraux de la coopération et de la solidarité internationales qui ont réuni, les 8, 9 et 10 novembre 2006 à Montréal, à l’initiative de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI), des représentants et représentantes des organisations de la société civile du Québec, de même que des partenaires de plusieurs régions du monde.
Pour nous, la société civile est l’expression des voix citoyennes, une constituante à part entière de la société, tout comme, par exemple, les institutions gouvernementales et les entreprises du secteur privé. Elle regroupe aussi bien des organismes à but non lucratif, des organisations de coopération et de solidarité internationales, des syndicats, des organisations de femmes, des groupes religieux, communautaires ou environnementalistes, des entreprises d’économie sociale et solidaire, des milieux de recherche ou d’enseignement.
Cette Déclaration du Québec veut exprimer notre vision commune du développement et de la solidarité internationale, servir de base à notre plaidoyer auprès des autorités politiques, proposer des pistes d’action collective concrètes et constituer la réplique de la société civile du Québec aux conceptions de l’aide et du développement mises de l’avant dans la Déclaration de Paris, adoptée en mars 2005 par les gouvernements et par les membres de l’OCDE.
L’état du monde
La mondialisation néolibérale domine l’agenda économique et politique et fait ses ravages : disparité croissante entre richesses éhontées et pauvretés scandaleuses, affaiblissement des États, domination des logiques commerciales et financières de l’économie, privatisation des services publics, marchandisation de plus en plus grande des connaissances, du vivant et même de ce qui était traditionnellement le bien commun.
L’idéologie de la croissance manifeste de plus en plus ses limites : nous exploitons déjà plus que la planète est capable de régénérer, provoquant l’épuisement accéléré de nombreuses ressources importantes (eau, poisson, pétrole, etc.), la dégradation de l’environnement (déforestation, pollution atmosphérique, etc.) et des conséquences climatiques dévastatrices (réchauffement climatique, entre autres). Et tout cela encore essentiellement par et pour une toute petite minorité des hommes et des femmes de la planète au détriment de l’immense majorité.
L’idéologie sécuritaire influence de plus en plus les débats et les décisions politiques. Le thème de l’insécurité est souvent brandi pour justifier des ingérences politiques, des dérives autoritaires, des restrictions à nos libertés et un accroissement de la militarisation qui détourne même une partie de l’aide publique au développement. Alors que la véritable insécurité, pour plus de la moitié de l’humanité, c’est la faim, l’absence d’emploi, de logement, de soins de santé et d’éducation.
L’inégalité structurelle entre les hommes et les femmes, continue partout de fausser les rapports humains, favorisant la discrimination, l’exploitation et la domination à l’égard des femmes, rendant plus difficile leur accès à l’éducation, à la santé, à l’économie, à la justice et au pouvoir. En excluant plus de la moitié de l’humanité, on trahit la démocratie.
La reconnaissance véritable de la diversité culturelle continue d’être un impératif. Cette diversité commence à être reconnue internationalement et permet d’exclure des mécanismes du marché l’éducation et la culture. Il demeure néanmoins difficile de construire les espaces publics permettant à cette diversité d’exprimer harmonieusement ses richesses. Le sentiment et les comportements de supériorité de l’Occident, les replis identitaires, le racisme ouvert ou latent, les tensions dues aux migrations croissantes : autant de formes diverses d’un même défi.
De nombreuses expériences prometteuses et la renaissance d’une mobilisation politique constituent toutefois des signes d’espoir. On ne compte plus, partout dans le monde, les initiatives en faveur des femmes, contre la pauvreté, pour le respect des droits humains et pour la paix : initiatives de concertation entre les acteurs de la société civile, d’expérimentation de formes nouvelles d’économie sociale ou de finance solidaire, de prise de parole et d’action collectives en faveur de l’environnement. Et le mouvement altermondialiste n’est que l’une des manifestations les plus visibles de ce renouveau d’intérêt pour les enjeux publics qui pousse la société civile à être de plus en plus présente et vigoureuse dans les forums internationaux de toutes sortes, comme interlocutrice incontournable des grands décideurs économiques et politiques.
Nos revendications
- Nous voulons construire un monde fondé sur le droit et sur les droits (individuels et collectifs). C’est pour nous un rempart fondamental contre la pauvreté, les injustices, la guerre et la violence.
- Nous exigeons partout l’égalité entre les femmes et les hommes, contribuant ainsi à l’empowerment des femmes.
- Nous voulons renforcer le rôle et la souveraineté politique des États et leurs responsabilités à l’égard de leurs populations, à l’intérieur du processus de coopération et d’interdépendance que suppose toute mondialisation des problèmes et des solutions.
- Nous condamnons la guerre et la militarisation comme manières de régler les conflits. Nous refusons et dénonçons le détournement d’une partie de l’aide au développement au profit de considérations « sécuritaires », liées à la « guerre au terrorisme ».
- Nous réclamons une réforme des Nations Unies et des agences ou institutions spécialisées pour favoriser une plus grande participation des pays du Sud aux décisions qui concernent l’avenir du monde et une diminution des divers privilèges politiques hérités de l’histoire par une minorité de pays riches ou puissants.
- Nous exigeons la réforme et la démocratisation des institutions financières et commerciales internationales pour assurer un meilleur partage des pouvoirs de décision, assujettir ces décisions aux normes internationales reconnues des droits humains et faire en sorte que ces décisions servent vraiment les populations des pays désavantagés plutôt que les intérêts des bailleurs de fonds. Nous réclamons l’établissement de nouvelles règles du commerce international qui soient plus équitables et plus soucieuses des intérêts économiques et sociaux des pays du Sud.
- Nous réclamons l’annulation sans conditions de la dette des pays pauvres du Sud, déjà largement repayée.
- Nous voulons faire augmenter les budgets consacrés à l’aide publique au développement au moins jusqu’à 0.7% du RNB; et nous réclamons une augmentation substantielle de la proportion de ces budgets consacrée aux organismes de coopération et aux organisations de la société civile en matière de coopération et de solidarité internationales.
- Nous demandons que l’aide versée aux gouvernements soit réservée à ceux qui s’engagent à respecter les principales Conventions internationales traitant des droits démocratiques et sociaux.
- Nous voulons prioriser le développement et l’accessibilité universelle d’une éducation de base pour les femmes et pour les hommes, non seulement comme moyen d’éradiquer l’analphabétisme et la pauvreté mais aussi de développer une citoyenneté active.
- Nous appuyons la souveraineté alimentaire de chaque pays comme pouvoir de déterminer sa politique agricole et la gestion de son marché intérieur. C’est pour nous la façon de reconnaître l’importance essentielle de l’agriculture dans chaque société, de favoriser une alimentation adéquate de toutes les populations et de cesser de traiter l’exportation et l’importation de produits agricoles en fonction des seuls intérêts des pays du Nord.
- Nous exigeons que l’eau soit traitée partout comme un patrimoine commun de l’humanité, et qu’à ce titre, elle ne puisse être ni privatisée, ni marchandisée. En ce sens, nous reconnaissons, comme Québécois et Québécoises dépositaires de réserves d’eau considérables, notre responsabilité à l’égard des autres peuples de la Terre.
- Nous demandons que les préoccupations environnementales deviennent un critère d’analyse et de sélection essentiel de tout projet de développement. Nous voulons ainsi promouvoir, ici comme ailleurs, une nouvelle approche du développement économique qui assure la préservation du patrimoine écologique et de la biodiversité de la planète en même temps que le développement des services prioritaires pour la population.
- Nous choisissons de miser sur les enfants et sur la jeunesse pour la construction d’un monde différent, plus juste et plus solidaire. Pour cela, nous demandons que la solidarité internationale soit intégrée, au Québec, dans le curriculum à tous les niveaux scolaires. Et nous réclamons une augmentation des budgets consacrés au financement des échanges entres jeunes d’ici et de l’étranger.
- Nous voulons favoriser le développement et la reconnaissance de la société civile, tant ici que dans les pays du Sud, comme interlocutrice et partenaire à part entière des gouvernements et des processus de prise de décisions politiques. En ce sens, nous nous réjouissons de cette reconnaissance dans la politique internationale du Québec et nous serons vigilants pour nous assurer que le gouvernement canadien en fasse autant dans ses propres politiques.
- Finalement, nous tenons à relever le défi prioritaire de l’éducation du public à la solidarité internationale afin d’associer une population de plus en plus large et diversifiée à une véritable solidarité de peuple à peuple. Nous exigeons que cette éducation du public continue d’être une composante essentielle de l’aide publique au développement et qu’elle soit financée en conséquence.
Nos engagements
- Améliorer, dans le respect des identités diverses de chacun, la coordination entre les organismes de coopération internationale. Il est urgent de développer des analyses communes et des plans d’action plus concertés, tant dans certaines de nos interventions à l’étranger qu’ici, dans notre travail d’éducation du public et dans nos revendications face aux autorités gouvernementales.
- Appliquer de façon systématique l’analyse genre et développement dans les programmes de sensibilisation ainsi que dans les programmes de développement et de coopération internationale.
- Encourager toutes les organisations de la société civile à intégrer dans leur mandat la responsabilité de développer des activités de sensibilisation à la solidarité internationale.
- Faire accepter le 0.7% comme une norme sociale reconnue de plus en plus par les institutions et les entreprises de la société à titre de contribution nécessaire de chacune au financement de projets concrets de solidarité internationale.
- Promouvoir et développer la consommation responsable comme alternative à la surconsommation qui caractérise nos sociétés du Nord, favoriser les diverses formes d’économie sociale et solidaire qui s’expérimentent en ce sens : commerce équitable, finances éthiques, services de proximité, biens socialement utiles, achats et échanges locaux, etc.
- Obtenir dans les principaux médias, et particulièrement ceux des réseaux publics, une plus grande place pour faire connaître les expériences de la société civile en matière de coopération et de solidarité internationales.
- Renforcer et développer les alliances et les réseaux, aussi bien au niveau international qu’au niveau national et local, pour construire des espaces politiques et développer un rapport de force croissant du camp de la solidarité internationale dans le but d’obtenir un modèle de développement humain plus juste, égalitaire, pacifique, durable et efficace.
- Diffuser cette Déclaration commune et en faire partager les objectifs aussi largement que possible dans nos divers réseaux.
Responsable aussi du monde, la société civile veut apporter sa contribution spécifique à la construction de cet autre monde possible et de plus en plus nécessaire. Comme membres de cette société civile, nous y apportons une expertise, une diversité et une préoccupation pour le bien commun qui sont irremplaçables. Et notre force nous vient autant de notre engagement et de notre capacité de mobilisation que de notre volonté de concertation et de nos acquis sur le terrain. C’est cette richesse que nous voulons ensemble mettre à profit parce que nous sommes responsables aussi du monde.
Montréal, le 10 novembre 2006
Annexe
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