La fusion prochaine de l’Agence canadienne de développement international (ACDI) – et de son budget de 3,5 milliards – avec le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international inquiète plus d’une organisation non gouvernementale. Ne risque-t-on pas, dit-on, de voir l’aide aux populations les plus pauvres noyée dans l’aide aux compagnies canadiennes ? Il n’en est rien, assure le ministre John Baird, cette priorité restera intacte, elle sera même mieux dirigée et plus efficace. Mais qui sont ces pauvres qu’Ottawa veut continuer à sortir de la misère ?
En janvier 2009, l’ACDI promettait 50 millions de dollars aux ingénieurs de SNC-Lavalin pour retaper un barrage en Afghanistan. Le projet fut un succès, déclarera l’ACDI. Mais, sur place, des paysans ont confié à Paul Watson, du Toronto Star, que ce fut un fiasco. L’ouvrage fut déficient, de l’argent est passé aux corrompus, et les agriculteurs sont devenus plus dépendants de l’étranger. L’économie du pavot, de l’insécurité et de la corruption n’avait pas été mise en échec.
Entre-temps, dans La Presse, Georges Paquet, un ex-diplomate, rappelle qu’un comité du sénat, étudiant l’aide canadienne en Afrique, publiait un rapport (« Pour surmonter 40 ans d’échec ») suggérant d’examiner si l’ACDI était encore pertinente ou même s’il ne fallait pas en transférer le Bureau Afrique, personnel compris, aux Affaires étrangères. Depuis longtemps, peut-on ajouter, ce ministère et l’agence ont fait l’objet de rivalités internes.
M. Paquet, parlant de l’ACDI, la décrit aujourd’hui comme un colosse « qui engloutit plus de 50 % de son budget en administration et en contrôle pour ne consacrer que le reste en aide véritable à ceux qui en ont besoin ». D’aucuns, il est vrai, pourraient s’interroger également sur les coûts et l’efficacité de la diplomatie fédérale. Mais en passant sous la coupe du ministère, les fonctionnaires de l’ACDI y trouveront-ils une politique anti-pauvreté plus efficace ? Et que viennent y faire les compagnies minières !
Le Québec et son Plan Nord recyclé par le cabinet du PQ ne sont plus seuls à croire aux miracles. Ottawa fait de l’aide aux minières canadiennes à l’étranger un gros moteur non seulement de la prospérité du Canada, mais même du développement ailleurs. Les anciennes mines d’ici n’ont pas enrichi les régions éloignées et les populations autochtones. Mais, nouvelle philosophie, des minières de l’ère Harper vont, avec les subventions d’Ottawa, enseigner aux pauvres d’Afrique et d’ailleurs comment travailler et même à ne plus bafouer les droits des… femmes.
À vrai dire, les ONG engagées dans la lutte contre la pauvreté (projets socio-économiques, éducatifs ou sanitaires avec les populations des pays « pauvres » ou « en développement »)auront-elles aussi fait face à de dures contradictions. Des multinationales canadiennes ont certes pactisé avec des régimes qui violent les droits fondamentaux et pillent les ressources locales. Mais la lutte contre la pauvreté pouvait-elle réussir sans attirer du même coup les prédateurs ou même implanter, comme en Haïti, une nouvelle tutelle étrangère ?
Une entreprise honnête ne voudra pas faire de commerce avec un pays qui piétine les contrats, dont la justice est corrompue, et où la population est méprisée. Une entreprise peu scrupuleuse, par contre, s’accommodera des pires régimes, là où règnent souvent misère, maladie, ignorance et corruption, sans oublier « l’aide publique au développement » détournée par les dirigeants corrompus. À quelle entreprise Ottawa entend-il confier la noble mission d’en finir avec la pauvreté ?
Certes, au Canada, ouvriers en quête de travail, villages en mal de revenus, politiciens ambitieux accueillent avec enthousiasme l’arrivée de minières. En Amérique latine, toutefois, menacées par la pollution, craignant pour leurs récoltes, des populations résistent. Ottawa aurait-il trouvé la formule magique permettant de donner satisfaction aux uns et aux autres ? Des compagnies ont-elles découvert l’art d’associer les populations locales à un avenir meilleur ?
Dans une photo illustrant le défi de l’ACDI, le Globe and Mail montre une Africaine au pilon entourée d’une ribambelle d’enfants. On imagine aisément la minière canadienne s’installant dans les environs, épaulant une clinique médicale et une école, et offrant aux jeunes une formation technique leur permettant d’avoir un emploi bien rémunéré. Mais que feront tous les autres qui ne pourront accéder à un meilleur niveau de vie ? Ne soyez pas surpris, chers contribuables d’ici, s’ils s’enrôlent un jour dans al-Qaïda !
Aucun des employés de l’ACDI ne perdra son emploi. Il ne s’agit pas de compressions budgétaires. Les « valeurs canadiennes » resteront attachées aux subventions versées aux firmes, aux ONG et aux autres « partenaires » qui souscriront à cette politique. Les compagnies applaudiront. Quelques ONG voient là une « cohérence » raisonnable entre aide et diplomatie. Bref, la charité cachait autrefois le dumping du blé des Prairies ou des tracteurs de l’Ontario en pays pauvre. Elle servira dorénavant de voile à la privatisation de l’aide internationale.
« Charité bien ordonnée », penseront donc les sceptiques, continuera par l’aide déjà fournie à certains pauvres du Canada : bureaucrates, ingénieurs et autres experts en multiples services. Et, s’il faut en croire l’un des défenseurs des nouvelles « valeurs québécoises », nul autre que le ministre de la métropole, Jean-François Lisée, le Québec, qui ne manque pas de pauvres, pourrait bientôt prendre la relève de l’ACDI. Montréal périclite, il est vrai, mais le Québec pourrait aider l’Afrique.
http://www.ledevoir.com/societe/ethique-et-religion/374065/ces-pauvres-qu-ottawa-veut-sortir-de-la-misere
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