« Jusqu’à ce que Minera Alumbrera s’installe ici, nous ne connaissions pas le problème de la drogue. J’ai trois poursuites judiciaires pour avoir dit publiquement ce que je suis en train de dire. (…) Nous étions un peuple qui vivait dans un paradis, sans aucun problème social. Quand le projet est arrivé, on a commencé à avoir des problèmes avec la drogue, la traite des femmes, la prostitution infantile et tout ce fléau social qui en est le produit »- témoignage d’une habitante d’une communauté affectée par la Minera Alumbrera.Les impacts de l’industrie minière et énergétique sur les femmes autochtones de Québec ainsi que leurs luttes. Aurélie Arnaud, Responsable des communications de Femmes Autochtones du Québec. Le Plan Nord, qui envisage l’exploitation minière et hydroélectrique comme le principal moteur de développement et de croissance économique au Québec, est vanté comme la solution au chômage et à la pauvreté dans les régions. Cependant, ce développement ne semble pas offrir les mêmes promesses aux femmes qu’aux hommes. En effet, « seule une faible proportion des emplois miniers et des emplois de construction seraient occupés par des femmes », accentuant la fragilité des droits des femmes, selon l’avis du Conseil du statut de la femme dans son rapport intitulé « Les femmes et le Plan Nord : pour un développement nordique égalitaire ». Cela est particulièrement vrai chez les femmes autochtones. Par exemple, seulement 1 % des femmes de la communauté innue de La Romaine travaillent sur le chantier hydroélectrique et la majeure partie occupent des emplois traditionnellement féminins: femmes de ménage, cuisinières, assistantes. L’absence de services de garderie dans les entreprises est un obstacle majeur à la participation des femmes dans l’industrie minière, et en particulier des femmes autochtones. Près du tiers de la population dans les régions du Nord est constitué d’enfants de moins de 15 ans. Les grossesses chez les adolescentes y sont nombreuses, ainsi que les mères monoparentales. Les femmes en âge de travailler se retrouvent bien souvent responsables de plusieurs enfants – les leurs, ceux de leurs enfants ou ceux qu’elles ont adopté d’autres membres de leur famille. Les horaires atypiques fréquents dans le secteur minier et l’éloignement compliquent d’autant plus la conciliation travail/famille. De plus, tous les rapports portant sur l’emploi des femmes autochtones dans les milieux professionnels non traditionnels font état de nombreux cas de harcèlement. Ils recommandent l’adoption d’une politique de tolérance zéro ainsi que des formations de sensibilisation aux différences culturelles, car les femmes autochtones subissent une double discrimination : à la fois sexiste et raciste. Des cas de viols sur le chantier de La Romaine et autour de Schefferville, par exemple, ont été rapportés, mais sont restés impunis. Plusieurs femmes ont dû se résigner à quitter leur emploi, ne supportant plus le harcèlement dont elles étaient victimes. Ce genre de comportements de la part des travailleurs n’est pas étranger au fait qu’ils se sentent de moins en moins attachés à la région dans laquelle ils travaillent. Une «masse » d’hommes inconnus et étrangers arrivent dans la région pour y travailler de façon temporaire. Cette dynamique est caractéristique du type de travail Fly-in-Fly-out, ce qui est typique dans le contexte de travail dans le domaine de l’exploitation minière, sans créer de liens communautaires, mais qui amène une pression importante sur la communauté. Dans les communautés touchées par l’exploitation minière, la violence contre les femmes et l’exploitation sexuelle ont augmenté. Par ailleurs, les Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) accueillent une part grandissante de jeunes filles, ce qui pourrait être relié à des cas de prostitution déguisée: des femmes échangent des services avec les employés de la mine pour du transport, de la drogue ou de l’alcool. Devant cette situation complexe, la participation des femmes tout au long du processus de consultation et de décision concernant les projets miniers est absolument nécessaire, même si elle n’est pas toujours spontanée. Il y a peu de participation féminine dans les prises de décisions, étant commun que les entreprises négocient avec les chefs des « conseils de bande », qui en majorité sont composés d’hommes. L’exemple de la mine de nickel de Voisey’s Bay, au Labrador, à la fin des années 1990, en témoigne. Grâce à Condition féminine Canada et à des organisations de femmes, la participation des femmes des communautés innues et inuites s’est significativement accrue lors des consultations en vue de l’installation de la mine. Cela a permis aux femmes de faire valoir leurs points de vue sur les différentes conséquences que le développement minier aurait pour elles et leurs communautés et de participer, par la suite, aux négociations de l’entente sur les retombées et les bénéfices pour la communauté. Cette entente a donc pris en compte les besoins des femmes en matière d’emploi et leurs mises en garde en ce qui a trait à la discrimination. Le rôle des femmes autochtones dans la résistance aux projets extratifs est très significatif. Elles subissent aussi la criminalisation et la judiciarisation. Beaucoup de personnes qui sont criminalisées et détenues sont des femmes. Leurs revendications visent la défense du territoire, le respect de la Terre-mère et la possibilité d’une vie digne et d’un environnement sain pour les générations futures. L’atelier a permis de mettre en lumière le fait que la situation des femmes dans les localités où s’implante l’industrie minière, tant au Nord qu’au Sud, comporte de nombreux parallèles. Le modèle de développement extractif, dans lequel s’inscrit la hausse actuelle du nombre et de l’ampleur des projets miniers partout dans le monde, favorise une culture du travail inéquitable, des ruptures de liens sociaux, une dynamique de tensions, la répression et la judiciarisation, ainsi qu’une hausse de la prostitution et du harcèlement qui globalement portent atteinte à plusieurs niveaux aux droits des femmes. L’assaut contre les ressources naturelles et les dynamiques sociales qui en résultent tendent aujourd’hui à se positionner comme un enjeu important des luttes féministes. De même, les revendications et modes de lutte des femmes au sein des mouvements de résistance à l’extractivisme peuvent inspirer le mouvement féministe dans son ensemble et aussi aux divers mouvements socio-environnementaux. L’impact de l’industrie minière et énergétique sur les droits des femmes
L’atelier L’impact de l’industrie minière et énergétique sur les droits des femmes fait partie des diverses initiatives menées par le CDHAL, la Coalition Quisetal et l’Entraide missionnaire comme le Tribunal permanent des peuples sur l’industrie minière canadienne, ainsi que le projet du CDHAL Énergie: pour qui et pour quoi? Une analyse critique de notre modèle énergétique. Ces trois groupes travaillent depuis plusieurs années sur les impacts socio-environnementaux de l’extractivisme, en comprenant celui-ci comme le modèle économique « néo-développementiste » basé sur l’exploitation et l’extraction massive des ressources naturelles. Ce modèle a des impacts majeurs sur la vie des peuples, sur leurs moyens d’existence aux niveaux économique, social, écologique et communautaire. Ici et ailleurs, les mouvements sociaux s’organisent pour dénoncer ces impacts et lutter contre ce système déprédateur, alors qu’une résistance forte se met en place en Amérique latine mais aussi au Québec et au Canada. Les femmes occupent un rôle central dans les communautés affectées par des projets extractifs et/ou énergétiques. De fait, en ayant des impacts divers sur les moyens d’existence, le milieu de vie et la structure locale du marché du travail, les mégaprojets liés à l’extraction des ressources naturelles – industries minière et pétrolière, barrages hydroélectriques, etc. – touchent de façon particulière les femmes. Tel que documenté par des chercheurs et chercheuses et mouvements sociaux tant au Québec qu’en Amérique latine, l’implantation de ces mégaprojets s’accompagne souvent d’une dévalorisation du travail des femmes, d’une hausse des agressions physiques et sexuelles et d’une augmentation du marché sexuel, en plus d’avoir des impacts sur la santé et le travail reproductif à travers une détérioration de l’environnement et de la vie communautaire. D’autre part, il est manifeste que les femmes jouent un rôle-clé dans les mouvements socio-environnementaux et pour la défense du territoire. Cet atelier avait pour objectif de sensibiliser et de rendre visibles les impacts de l’extractivisme sur les femmes, ainsi que la résistance de ces femmes à l’implantation des mégaprojets extractifs et énergétiques. De même, l’atelier a permis de présenter un aperçu, dans une perspective Nord-Sud, de divers mouvements pour la justice socio-écologique dans lesquels les femmes jouent un rôle prépondérant. L’atelier a consisté en une table-ronde avec deux intervenantes, Annie Lamalice et Aurélie Arnaud, qui ont présenté divers éléments de réflexion sur les impacts particuliers sur les femmes ainsi que sur leurs formes d’organisation, à travers le cas de Minera Alumbrera, en Argentine, et de l’impact de l’industrie minière sur les femmes autochtones au Québec. La présentation d’une courte capsule vidéo montrant des mouvements des femmes au Sud a offert aux participant-e-s un portrait de la résistance des femmes face au pillage des ressources naturelles (MAB au Brésil, Conferencia Internacional Más allá del reto: Mujer, Minería y derechos humanos – Guatemala, 2010 -, Mujeres Defensoras de la Pachamama en Équateur, Mujeres sin frontera au Chili). Une période de discussion et d’échanges avec les participant-e-s a clôturé l’atelier. Le cas de Minera Alumbrera (Argentine) et l’organisation des femmes du territoire, présenté par Annie Lamalice, membre du CDHAL et chercheure sur les impacts socio-territoriaux de l’industrie extractive.
Le mémoire de maîtrise d’Annie Lamalice porte sur le cas de la Minera Alumbrera (Catamarca, Argentine) et analyse le mouvement Mujeres del silencio, au sein duquel des femmes se sont regroupées face à la forte répression qu’elles ont subi en raison de leur opposition à la mine. Cette présentation a abordé le développement minier à grande échelle et ses impacts socio-territoriaux dans la province argentine de Catamarca où une partie importante de la population s’oppose à l’industrie minière. Un intérêt particulier est porté aux inégalités de genre. Annie Lamalice a réalisé des entrevues avec différents acteurs de ce conflit socio-environnemental. Il s’en dégage que les retombées du mégaprojet sont limitées et mal distribuées, les inégalités s’étant renforcées à différentes échelles. Le mouvement social qui s’organise à travers une assemblée populaire au fonctionnement horizontal est largement porté par les femmes, qui y exercent un leadership important dans une société pourtant particulièrement machiste. La présentation souhaite contribuer à la réflexion sur le rôle innovateur des femmes dans les mouvements socio-environnementaux en réponse aux pratiques des grands projets extractifs qui se multiplient à l’échelle mondiale. L’industrie minière est en pleine expansion en Argentine. Une multiplication des projets miniers et des conflits y est visible. Le projet Bajo la Alumbrera est un consortium canado-suisse: Xstrata (50%), Goldcorp (37,5%) et Yamana Gold (12,5%). Il s’agit d’une mine de cuivre et d’or. Les communautés locales d’Andalgalá, de Belén et de Santa Maria, les agriculteurs de la région et la communauté autochtone Diaguita-Calchaquí, sont touchés par les impacts de la mine. La compagnie minière s’implique dans divers secteurs du développement économique du territoire en faisant de nombreuses promesses, par exemple la création de 10.000 emplois, le retour du train et la construction du centre d’opérations à Andalgalá. Le nombre de femmes travaillant à la mine Alumbrera est en croissance, même si elles ne représentent que 6% des employés. En 2010, 92 femmes y travaillaient tandis qu’en 2012 il y en avait 110. Les femmes qui y travaillent sont des cas atypiques ayant été utilisés pour améliorer l’image de l’industrie. Une sorte de propagande est visible, employant l’image des femmes « travaillant à la mine ». La femme a été utilisée pour justifier des aberrations du type : « l’entretien des camions dirigés par des femmes coûte moins cher que ceux des hommes ». En réponse à ce projet minier à ciel ouvert, un mouvement socio-environnemental s’est mis en place où la participation des femmes est très importante. Suite à la violente répression du mouvement par les forces policières de la province le 15 février 2010 et la judiciarisation de la plupart des hommes qui ont mené les révoltes locales, les femmes ont décidé de défiler chaque mercredi dans les rues du centre d’Andalgalá, bâillonnées, les mains attachées et avec des affiches autour du cou, en défiant le pouvoir des entreprises minières, des hommes politiques complices et de la police. Durant leur marche, elles font plusieurs arrêts spécifiques devant le Tribunal local, le bureau du Procureur, la préfecture de police et les bureaux de l’entreprise minière Yamana Gold, responsable du projet Agua Rica. Ces femmes marchent avec les seules armes dont elles disposent : leur corps et leur silence, pour défendre ce qui appartient à tout le monde. Avec leur silence, elles se font les voix de l’ensemble des habitants d’Andalgala réprimés, persécutés et contraints au silence. Toutefois, la répression contre ces femmes a démarré très tôt. Dès le début c’est devenu un conflit armé. La tension ne faisait qu’augmenter, plus encore suite aux événements de février 2010, de même que les affrontements entre les « promineros » et les « contramineros ». Un climat d’insécurité se ressent, entrainant une dislocation des liens de solidarité. Les femmes ont ainsi créé le mouvement Las Mujeres del Silencio dont le but est de faire reconnaître la complicité entre l’État et les compagnies minières. Il a été créé en réaction à la judiciarisation des militants et militantes. Les femmes veulent approfondir la lutte. Elles se sentent socialement responsables de protéger le territoire. Elles croient profondément qu’un avenir sain pour leurs enfants doit être dépourvu de l’extraction minière
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