En 2015, le Népal est devenu l’un des rares pays au monde à inclure les droits des minorités sexuelles et de genre dans sa constitution. Cela en soi constitue une grande avancée. Cependant, les progrès de la jurisprudence et des normes constitutionnelles ne se reflètent pas dans toutes les lois et politiques, de sorte que les personnes LGBTIQ au Népal continuent d’être victimes de discrimination, de haine, de violence, de stigmatisation sociale et de harcèlement. C’est ce que cet article montre, en se basant sur les observations de terrain de son autrice, Manisha Dhakal.
Par : Manisha Dhakal[1], Népal
L’article 12 de la constitution du Népal stipule que les citoyenꞏnes seront autoriséꞏes à choisir leur document de citoyenneté en fonction de leur identité de genre. Dans la pratique, les options de mention du genre sur les documents de citoyenneté sont actuellement les suivantes : homme, femme ou autre.
L’article 18 stipule que les minorités sexuelles et de genre ne feront l’objet d’aucune discrimination de la part de l’État et du pouvoir judiciaire dans l’application des lois. Il ajoute que le gouvernement peut prendre des dispositions spéciales par le biais de lois pour protéger, renforcer et faire progresser les droits des minorités sexuelles et de genre et d’autres groupes marginalisés et minoritaires.
L’article 42 énumère les minorités de genre et sexuelles parmi les groupes qui ont le droit de participer aux mécanismes de l’État et aux services publics afin de promouvoir l’inclusion.
Ces dispositions de la constitution ouvrent de nouveaux horizons en termes d’égalité des droits des personnes LGBTIQ au Népal. Depuis une décision révolutionnaire de la Cour suprême en 2007 et l’inclusion des droits LGBTIQ dans la constitution en 2015, le Népal a fait des progrès significatifs dans ses politiques et programmes pour faire avancer les droits humains des personnes LGBTIQ. Par exemple, dans les recensements nationaux de 2011 et 2021, les personnes pouvaient choisir une troisième option pour indiquer leur genre. En outre, la commission électorale du Népal a ajouté « l’interdiction des discours de haine à l’encontre des minorités sexuelles et de genre » pendant la campagne électorale. Elle a également créé une disposition prévoyant une file d’attente prioritaire pour les personnes de la diversité de genre[2], lors des élections locales et fédérales.
Dans une rare affaire de justice, le gouvernement de la province de Bagmati a accordé une compensation à la famille d’une femme transgenre qui avait été brutalement violée et assassinée deux ans auparavant. Récemment, la Province 1 a réservé 2 % des emplois aux minorités sexuelles et de genre. Outre ces dispositions, le ministère des Femmes, des Enfants et des Personnes âgées a alloué un budget à plusieurs organisations LGBTIQ. De même, les municipalités locales et le gouvernement provincial ont alloué des lignes budgétaires aux minorités sexuelles et de genre pour des opportunités de génération de revenus et des activités de sensibilisation.
Malgré ces succès, le progrès de la jurisprudence et les normes constitutionnelles ne se reflètent pas dans toutes les lois et politiques, de sorte que les personnes LGBTIQ au Népal continuent d’être victimes de discrimination, de haine, de violence, de stigmatisation sociale et de harcèlement dans les espaces publics, comme la stigmatisation dans les soins de santé et le harcèlement par les forces de l’ordre, ce qui est particulièrement grave pour les femmes transgenres.
En raison de la stigmatisation sociale et des tabous liés à l’orientation sexuelle, à l’identité de genre et aux caractéristiques sexuelles, de nombreuses personnes LGBTIQ cachent leurs expériences de harcèlement, de violence, de discrimination et de haine. Elles se plaignent rarement de tels incidents par peur de représailles et parce qu’elles sont convaincues que les autorités ne les soutiendront pas.
La loi nationale sur le mariage contredit le langage et l’esprit de la constitution égalitaire en matière de genre au Népal.
Le Népal n’a toujours pas atteint l’égalité du mariage, malgré le droit à l’égalité garanti par la nouvelle constitution de 2015 et bien qu’un comité gouvernemental, mandaté par la Cour suprême pour étudier les normes internationales, ait recommandé que l’État reconnaisse les relations entre personnes de même sexe. En fait, l’égalité du mariage semble plus éloignée que jamais en raison des nouvelles dispositions légales régressives (code civil) adoptées par le gouvernement. Ces dispositions légales ont rendu encore plus difficile pour les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, intersexes et queers (LGBTIQ) d’obtenir une reconnaissance légale et de vivre dans la dignité. La loi de 2017 sur le Code civil national établit le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme. La section 67 du code civil le définit comme « un homme et une femme s’acceptant mutuellement comme époux et épouse », et constitue donc un obstacle majeur à l’égalité du mariage. Cette disposition contredit la lettre et l’esprit de la constitution qui établit le principe d’égalité et de non-discrimination.
De nombreuses personnes transgenres sont confrontées à des difficultés d’accès à l’emploi, y compris certaines de celles qui ont reçu la mention de genre « Autre » dans leurs documents de citoyenneté et leur passeport. Le gouvernement et le secteur privé sont réticents à donner une chance à ceux qui ont la mention de genre « Autre » dans leur certificat de citoyenneté. En raison de la discrimination en matière d’emploi, de nombreux jeunes LGBTIQ quittent le Népal pour chercher un emploi dans d’autres pays. La situation est encore plus difficile pour les personnes transgenres, car elles ne sont pas autorisées à travailler dans de nombreux pays particulièrement hostiles, notamment au Moyen-Orient. C’est pourquoi la plupart des personnes transgenres sont impliquées dans le travail du sexe. Là encore, le travail du sexe n’est pas facile pour ces personnes, car elles sont confrontées à la violence, au harcèlement et à la stigmatisation venant de la police, des clients et de la société.
Les personnes LGBTIQ sont confrontées à la discrimination dans l’emploi et exclues des structures de l’État en dépit du principe de l’égalité des chances adopté par l’État népalais.
En outre, les droits de représentation politique des personnes LGBTIQ sont violés, car il n’existe aucune disposition de quota en leur faveur dans les lois et politiques électorales du Népal. Le gouvernement népalais n’a pas non plus prévu d’inclure les personnes LGBTIQ dans la politique de candidature proportionnelle. Par conséquent, les personnes LGBTIQ ne sont représentées dans aucune structure de l’État. Il s’agit d’un excellent exemple de violation de l’article 42 de la Constitution, qui prévoit l’égalité des chances dans la structure de l’État.
D’autre part, les personnes transgenres qui tentent de changer de sexe légal sont obligées de montrer leur corps au personnel hospitalier et de subir des examens de leurs organes génitaux qui ne sont pas médicalement nécessaires. Elles doivent en outre présenter des documents prouvant qu’elles ont subi une transition chirurgicale. Cette disposition d’investigation du corps est une violation de l’autonomie corporelle et une violation du droit à la vie privée. Il s’agit d’une mesure totalement régressive du gouvernement népalais, qui va à l’encontre de l’article 12 de la Constitution, lequel accorde le certificat de citoyenneté selon l’identité de genre déclarée, et à l’encontre de la décision de la Cour suprême en 2007, qui a clairement indiqué que la reconnaissance du genre devait être accordée sur la base du « sentiment de soi ».
Les personnes LGBTIQ condamnent ce type de disposition et plaident pour un accès facile et une modification de la citoyenneté conformément à l’autodétermination. Les personnes transgenres plaident également pour le remplacement du terme « Autre » comme mention de genre dans le certificat de citoyenneté et les autres documents juridiques. Les activistes et la communauté estiment que le terme « Autre » n’est pas un terme humain et que le fait d’avoir la mention de genre « Autre » a créé plus de problèmes et de défis pour les personnes transgenres en termes d’opportunités diverses. On devrait pouvoir obtenir la reconnaissance de son genre selon de multiples options : homme, femme, autre, troisième genre et indéterminé. Sans cela, le gouvernement ne s’investit pas vraiment dans la reconnaissance des personnes trans devant la loi au Népal, ce qui constitue une violation des droits fondamentaux.
Les personnes trans doivent prouver qu’elles ont subi une intervention chirurgicale, ce qui est une violation de l’autonomie corporelle et du droit à la vie privée. La reconnaissance du genre devrait être accordée sur la base de l’autodétermination.
En réalité, les personnes LGBTIQ au Népal ne disposent pas de dispositions légales pour l’égalité des chances en matière d’emploi, de services de santé de qualité sans stigmatisation (y compris les services de santé mentale), d’éducation, de représentation dans les structures de l’État, d’égalité concernant le mariage, ou de mécanismes de lutte contre la violence, le harcèlement et les abus. Le gouvernement devrait suivre la disposition constitutionnelle de l’article 12, concernant l’accès à la citoyenneté selon l’identité de genre déclarée, et devrait suivre le principe d’autodétermination pour obtenir le certificat de citoyenneté. Nous pensons que, outre les changements juridiques, il est très important de changer les attitudes de la société, des bureaucrates du gouvernement, des décideurꞏes politiques et des parties prenantes. Pour cela, il est nécessaire de mettre en place un programme de sensibilisation et d’information sur les enjeux des personnes LGBTIQ. Si nous menons des activités de plaidoyer et des activités de sensibilisation en parallèle, cela permettra de faire évoluer les politiques grâce à des attitudes positives.
___________
[1] Manisha Dhakal est une femme transgenre et militante des droits LGBTIQ de Katmandou, au Népal. Elle participe au mouvement de défense des droits des LGBTIQ depuis 2001. Elle est une membre fondatrice du Réseau transgenre Asie-Pacifique et une ancienne coprésidente de l’ILGA Asia (Association internationale des lesbiennes, gais, bisexuelles, trans et intersexes en Asie). Elle est également membre du conseil d’administration de l’IRGT (Réseau mondial des femmes transgenres et du VIH). Elle a été impliquée dans le plaidoyer pour la cause des personnes LGBTIQ devant la Cour suprême du Népal, dans une affaire qui a abouti à un verdict historique ordonnant au gouvernement de promulguer des lois accordant l’égalité des droits pour les citoyenꞏnes LGBTIQ. L’année dernière, elle a reçu le prix JanaSewa Shree 5e classe, décerné par le gouvernement népalais. Manisha est actuellement directrice exécutive de la Société Blue Diamond et présidente de la Fédération des minorités sexuelles et de genre du Népal.
[2] Au Népal, femmes et hommes forment des lignes d’attente séparées pour aller voter.
Les commentaires sont fermés.