On sait ce qu’il faut faire
Depuis des années voire des décennies, tous les scientifiques crédibles insistent sur la nécessité de réduire rapidement et de manière importante les émissions de gaz à effet de serre (GES) pour éviter les pires conséquences des changements climatiques (vagues de chaleur, extinctions d’espèces, déstabilisation des calottes polaires, montée des océans sur le long terme, etc.). Le plus récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) était d’ailleurs très clair à ce sujet. On sait à quel niveau le réchauffement climatique doit être maintenu pour éviter le pire : 1,5 degré Celsius. On sait l’ampleur des réductions nécessaires : une réduction de 45 % des GES en 2030 par rapport à 2010. On sait aussi le temps qu’il nous reste pour y parvenir : 11 ans. Alors, on attend quoi au juste ?
« Nous avons remis le message aux gouvernements, nous leur avons donné les preuves, à eux de voir ».
– Jim Skea, de l’Imperial College de Londres et membre du GIEC
Le problème : le manque de la volonté politique des pays du Nord
En fait, c’est surtout la volonté politique des pays du Nord qu’on attend et qui ne semble pas vouloir venir malgré l’urgence de la situation. Ces pays du Nord qui sont responsables des changements climatiques et qui refusent obstinément de mettre en œuvre les plans de réduction de GES nécessaires. Ces pays du Nord qui rechignent aussi à assumer leurs responsabilités en tardant à soutenir les pays du Sud qui doivent s’adapter et faire face dès maintenant aux conséquences de changements climatiques auxquels ils n’ont que peu ou pas contribué. Ces pays du Nord qui font le choix conscient de mettre en danger la vie des générations actuelles et futures, d’ici et d’ailleurs, pour préserver les privilèges des plus riches et éviter de nuire à un modèle de croissance économique qui est la cause même des problèmes actuels. La jeune et inspirante suédoise Greta Thunberg, 15 ans, avait d’ailleurs le message suivant à livrer aux chefs d’État pendant la COP 24 : « Tant que vous ne commencerez pas à vous préoccuper de ce qui doit être fait plutôt que de ce qui est possible politiquement, il n’y a aucun espoir ».
Les actions en justice : une façon de forcer les États à prendre leurs responsabilités
Heureusement, des citoyen-ne-s et des organisations de la société civile se mobilisent à travers le monde pour mettre de la pression sur les gouvernements et tenter de les contraindre à agir. Le 8 septembre dernier, par exemple, dans le cadre de la marche mondiale pour le climat, plus de 800 actions ont été menées dans 90 pays. Au Québec aussi, les mobilisations se multiplient. En décembre 2018 notamment, pendant la COP 24, des milliers de personnes ont manifesté dans une dizaine de villes de la province pour réclamer des actions concrètes de la part des gouvernements.
Depuis quelques années cependant, nous assistons aussi à l’utilisation de plus en fréquente d’une nouvelle stratégie pour faire bouger les choses : les actions en justice. En effet, selon les données comptabilisées par le Sabin Center for Climate Change Law, on dénombre plus de 1000 poursuites légales en cours contre des États et des grandes entreprises pétrolières en lien avec la lutte aux changements climatiques à travers le monde. Dans le cas des entreprises, il s’agit généralement de leur réclamer des dommages pour leur responsabilité dans les impacts du réchauffement climatique. Dans le cas des États, il s’agit de les forcer à prendre les mesures qui s’imposent pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Quelques exemples de poursuites contre les États
Aux Pays-Bas, en 2015, 900 citoyen-ne-s néerlandais-es et la Fondation Urgenda ont déposé une poursuite contre le gouvernement parce que ce dernier n’avait pas pris des mesures suffisantes pour protéger la population contre les impacts des changements climatiques. S’appuyant sur la Convention européenne des droits de l’Homme, la cour a tranché en faveur des plaignant-e-s en soutenant que les Pays-Bas devaient réduire leurs GES d’au moins 25 % d’ici 2020 par rapport au niveau de 1990. Le gouvernement a fait appel de la décision mais, en octobre 2018, le jugement a été maintenu et le gouvernement néerlandais s’est engagé depuis à diminuer ses émissions de 49 % d’ici 2030.
En Irlande, l’organisme environnemental Friends of the Irish Environment (FiE) poursuit le gouvernement parce que le plan national de mitigation ne va pas assez loin pour réduire les GES du pays. Selon l’organisme, cela constitue une violation du Ireland Climate Act, de la constitution irlandaise, de l’Accord de Paris et des obligations de l’Irlande en matière de droits humains.
En décembre 2018, les organisations non gouvernementales Greenpeace, Oxfam, la Fondation pour la nature et l’Homme (FNH) et l’association Notre affaire à tous ont déposé un recours en justice contre l’État français pour action insuffisante contre le réchauffement climatique en soutenant qu’il ne respecte pas son obligation de protection de l’environnement, de la santé et de la sécurité humaine.
Les jeunes du Québec poursuivent le gouvernement canadien pour son inaction
Lors de la COP 24, j’ai eu la chance d’assisté à un panel intitulé « The People’s Open Climate and Human Rights Event : Tools to Hold Governments Accountable for Climate Change » qui portait justement des cas d’actions en justice. Cela m’a permis d’en apprendre davantage sur les luttes menées par des organisations et des citoyen-ne-s en Irlande, en Allemagne, en Suède et… au Canada.
Photo : Denis Côté, 5 décembre 2018, Climate Hub, Katowice (Pologne)
En effet, une demande d’autorisation à la Cour supérieure du Québec a été déposée le 26 novembre 2018 afin d’exercer une action collective au nom de tous les jeunes de 35 ans et moins du Québec contre le gouvernement du Canada pour son inaction dans la lutte contre les changements climatiques. Catherine Gauthier, directrice d’ENvironnement JEUnesse (ENJEU), participait donc au panel pour présenter cette action en justice initiée par son organisme. Pour ENJEU,
« (…) le gouvernement du Canada brime les droits fondamentaux d’une génération. Il contrevient aux droits des jeunes d’une part parce que sa cible de réduction de gaz à effet de serre n’est pas suffisamment ambitieuse pour éviter des changements climatiques dangereux, et d’autre part, parce que ses actions ne permettent pas l’atteinte de cette cible pourtant déjà insuffisante. Si le gouvernement continue dans cette voie, cette génération et celles à venir subiront les conséquences graves des changements climatiques, les privant ainsi de leur droit à un environnement sain et à la protection de la biodiversité, de leur droit à la vie et à la sécurité, et de leur droit à l’égalité ».
En menant cette action, les jeunes demandent à la Cour d’exiger du gouvernement qu’il respecte leurs droits.
L’AQOCI, qui est devenu membre d’ENJEU en 2018, suivra l’évolution de ce dossier avec intérêt dans les prochains mois. Face au manque de volonté politique de nos gouvernements dans la lutte aux changements climatiques, cette mobilisation des jeunes est certainement source d’optimisme et d’espoir. Elle fait aussi écho au discours de Greta Thunberg qui s’exprimait au nom des jeunes présent-e-s à la COP 24 :
« Nous ne sommes pas venus ici pour supplier les leaders du monde de nous écouter. Vous nous avez ignorés par le passé et vous allez continuer à nous ignorer dans l’avenir. Vous êtes à court d’excuses et nous sommes à court de temps. Si nous sommes venus ici, c’est pour vous avertir que le changement s’en vient… que cela vous plaise ou non.»
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