Le principe fondamental de la réflexion féministe est fondé sur la profonde conviction qu’aucune société ne peut être libre, démocratique et épanouie si elle ne traite pas toutes ses citoyennes et tous ses citoyens sur une base égale quel que soit leur genre.
Par : Massan d’ALMEIDA, Togo
Présidente et Fondatrice, Fonds XOESE pour les Femmes Francophones[1]
Le mouvement des femmes francophones est composé de l’ensemble des organisations qui travaillent pour la promotion des droits et de l’autonomisation des femmes et de jeunes femmes francophones. Il inclut en son sein le mouvement féministe qui est constitué de défenseures et d’organisations qui ont un positionnement politique plus tranché sur toutes les questions qui touchent aux droits des femmes et à l’égalité des genres. Les féministes assument leur positionnement et le revendiquent ouvertement. Il inclut également beaucoup de militantes francophones qui font montre de réserve sur leur féminisme et se revendiquent comme championnes de l’égalité entre les sexes. Car dans plusieurs pays et communautés les questions liées à l’identité de genre demeurent taboues. Ceci est donc l’une des dimensions faisant la diversité de ce mouvement.
Le financement est le plus grand défi
Les raisons qui poussent à la création d’associations de femmes sont en général très louables, avec un engagement très fort sur le moment, afin de répondre à des besoins au sein des communautés. Ces bonnes intentions perdent en intensité en général au fil du temps pour divers motifs :
- l’effort de formaliser les groupes: ce processus s’éternise dans certains pays et entrave l’essor des groupes qui sont confrontés à ce défi, car sans le récépissé, c’est quasiment impossible d’obtenir l’appui de plusieurs institutions de financement, sauf de nombreux Fonds de femmes;
- la difficulté de mobiliser des ressources financières: c’est le plus grand défi qui entraîne l’écroulement de plusieurs organisations et initiatives francophone;
- les conflits internes.
De nombreuses militantes des droits des femmes vivent avec des ressources en dessous d’un dollar par jour
On recense en général un millier d’organisations de femmes dans chaque pays francophone. Mais seulement environ une centaine d’entre elles sont véritablement actives[2].
A la création, ces organisations n’ont souvent aucun capital de départ. Elles mènent des activités sur la base des ressources qu’elles arrivent à mobiliser localement (cotisation des membres, dons, petites subventions) ou des financements externes. Mais les membres cotisent difficilement en dépit de leurs bonnes volontés. Or plusieurs membres des associations arrivent difficilement à bien vivre avec leurs maigres revenus (pour celles qui en ont, car ce n’est pas le cas de toutes). Il est important de relever que de nombreuses militantes des droits des femmes vivent avec des ressources en dessous d’un dollar par jour.
La précarité générée par le bénévolat
Le mode de fonctionnement des associations est basé sur le bénévolat tant des militantes que des membres des conseils d’administration. Or bon nombre d’entre elles sont retraitées avec des revenus très maigres, aspirant à en gagner plus. Ce sont soit des femmes au foyer ou des jeunes sans emploi qui cherchent à gagner leur vie et à avoir plus d’expérience. Et tout ce monde se retrouve pris au piège d’un modèle associatif et d’une culture du “sans but lucratif”, qui génère au sein de ce mouvement pour les droits un cycle de pauvreté dont personne n’ose parler. Car il s’agit bien d’un travail non rémunéré pour les droits des femmes.
Pour s’en sortir, d’aucuns ont trouvé des solutions assez mal adaptées aux problèmes, avec les perdiems des réunions, procurant un genre de revenu pour les “privilégiées” qui participent aux conférences. Mais cela crée plusieurs autres problèmes dérivés[3].
Les militantes, activistes ou défenseuses des droits des femmes sont des femmes engagées qui travaillent avec passion pour la cause des femmes. Certaines d’entre elles travaillent à temps plein sans salaire, d’autres à temps partiel et à des heures tardives, le soir ou la nuit. Plusieurs le font en marge de leur travail professionnel dans l’administration publique, le secteur privé ou de leurs propres petites affaires. Comme c’est un travail bénévole, elles n’en tirent aucun salaire ou revenu stable, elles n’ont aucun accès à l’assurance santé/maladie, à une assurance voyage si elle n’est pas fournie par les organisateurs des événements auxquels elles participent.
Les féministes bénévoles ne prennent conscience de leur précarité financière que lorsqu’elles prennent de l’âge et commencent à avoir des soucis de santé
Elles ne prennent conscience de la précarité de cette situation préoccupante que lorsqu’elles prennent de l’âge et commencent à avoir des soucis de santé; elles réalisent alors soudainement qu’après une dizaine, vingtaine voire trentaine d’années de militantisme, il n’y a aucun mécanisme qui reconnaisse l’important travail qu’elles ont accompli et qui leur assure une pension de retraite, leur permettant de vieillir dans la dignité. Elles font face alors à la dure réalité qu’elles ont passé leur temps à se préoccuper des droits des autres femmes mais qu’il y a très peu d’initiatives se préoccupant de leur sort. En général, on remarque à peine leur absence à une ou deux réunions … puis elles sont oubliées! Que deviennent elles alors? …
Le bien-être et la sécurité des défenseuses : une priorité de XOESE
Il est très triste de voir parfois la misère dans laquelle plusieurs militantes ainées finissent leurs vieux jours. Préoccupé par leur sort et dans le souci de réagir dans la mesure de ses moyens limités avant que le pire ne leur arrive, le Fonds XOESE pour Les Femmes Francophones a décidé d’inclure le « bien-être et la sécurité des défenseuses » au nombre de ses six thèmes prioritaires d’intervention[4], en l’occurrence:
- Renforcement du mouvement francophone des droits des femmes et des jeunes femmes;
- Participation politique et publique des femmes et des jeunes femmes;
- Autonomisation économique et leadership professionnel des femmes et des jeunes femmes;
- Genre, Paix et sécurité;
- Bien-être, sécurité et efficience des Femmes et jeunes femmes; Défenseures Des Droits Humains (FDDH);
- Genre, environnement et changement Climatique.
Dans le cadre de ces efforts pour soutenir les FDDH, le Fonds XOESE octroie chaque année depuis 2020, son Prix Francophone pour l’Égalité des genres[5] afin de mettre en lumière l’engagement et les parcours extraordinaires des militantes qui font progresser les droits des femmes, des jeunes femmes et des filles et l’égalité des genres dans les différents pays francophones du Sud. A travers ce prix, XOESE souhaite reconnaître les efforts considérables de ces héroïnes, souvent dans l’ombre, et accroître la visibilité de leurs réalisations exceptionnelles.
Des Forums novateurs
Les forums Francophones de XOESE sont un espace ouvert et collaboratif que nous avons décidé de créer afin de permettre aux militantes francophones d’avoir un espace propre à elles pour se rencontrer, échanger, discuter, stratégiser ensemble, réfléchir sur leur travail, ré-imaginer les solutions aux problèmes de leurs communautés, pays et régions, célébrer leurs succès, s’amuser et passer du bon temps ensemble, résoudre leurs problèmes…
Elles n’avaient pas un espace de ce genre avant et cela explique en partie les frictions et frustrations au sein de leur mouvement, le manque de collaboration, la rareté des initiatives conjointes co-créées et mises en œuvre par plusieurs d’entre elles. Mais travailler ensemble sur une ou plusieurs initiatives conjointes a un coût que bon nombre de militantes et d’organisations ne peuvent se permettre, malgré leur bonne volonté de s’y engager.
Les forums francophones de XOESE : travailler ensemble sur une ou plusieurs initiatives conjointes financées
Nous espérons à travers les quatre jours du Forum de XOESE offrir aux femmes les conditions d’un espace ouvert et collaboratif, où les barrières de la distance géographique, de la technologie et de la langue ne posent plus problème et de façon qu’elles puissent :
- exprimer leurs idées, leurs créativités;
- se parler;
- stratégiser ensemble;
- partager leurs succès et leçons apprises de la mise en œuvre de leurs travaux/ projets;
- se projeter collectivement dans l’avenir;
- échanger avec leurs partenaires et d’en trouver de nouveaux;
- forger des alliances;
- monter des initiatives collaboratives;
- se reposer et prendre soin d’elles-mêmes;
- créer de nouvelles amitiés et renforcer les anciennes.
Fort du succès du Forum 2021 de XOESE qui était 100 % en ligne, nous organisons avec des moyens assez limités le Forum francophone 2023 du 27 au 30 novembre 2023, en hybride : en présentiel à Lomé (Togo) et en ligne[6].
Nous espérons par ce moyen connecter le plus grand nombre possible d’actrices francophones et non francophones travaillant pour et soutenant les militantes et organisations féministes, des droits des femmes et leurs mouvements dans un seul espace durant quatre jours d’échanges.
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[1] Massan d’Almeida est une experte togolaise des questions de genre avec plus de 22 ans d’expérience dans l’activisme pour les droits des femmes et l’égalité des sexes. Elle est Consultante internationale, fondatrice et Présidente de XOESE, Le Fonds pour les Femmes Francophones. Massan a travaillé pour AWID (Association pour les droits de la Femme et le Développement), de 2004 à 2011. Elle a contribué à la création et/ou au renforcement de plusieurs réseaux et groupes de travail sur les questions de genre: ROFAF – Réseau des Organisations Féminines d’Afrique francophone, AFARD – Association pour les Femmes Africaines pour la Recherche et le Développement, GAGG – GCF Africa Gender Group, Groupe thématique Gender For Results de l’AFCOP (African Community of Practice), Multi-Stakeholder Steering Committee du “ Forum Génération Égalité ».
[2] Rapport provisoire de l’Étude approfondie sur l’état du mouvement des droits des femmes et des
jeunes femmes francophones, Fonds XOESE, Novembre 2023.
[3] De la question des perdiems in Etude de Faisabilité du Fonds XOESE pour Les Femmes Francophones
[4] Fonds XOESE, « Priorités » : https://xoese.org/nous/
[5] Fonds XOESE, Prix Francophone pour l’Égalité des Genres
https://xoese.org/initiatives/prix-francophone-pour-legalite-des-genres/
[6] 2ème Forum Francophone de XOESE : https://xoese.org/evenements/forum-francophone-2023/
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