Montréal, le 18 décembre 2012 L’Honorable Julian Fantino
Ministre de la Coopération internationale
Chambre des communes
733 Édifice de la Confédération
Ottawa, ON
K1A 0A6
Monsieur le Ministre, La Concertation pour Haïti voudrait joindre sa voix à toutes celles qui se sont élevées pour dénoncer les nouvelles orientations de la politique canadienne, qui tournent le dos aux objectifs de développement pour préparer l’accueil de capitaux canadiens dans les pays en développement. L’ACDI aurait désormais pour principale fonction de faire la promotion d’intérêts commerciaux alors qu’il existe déjà d’autres agences dont c’est la mission. Après votre discours prononcé à Toronto le 23 novembre dernier devant le Club économique du Canada, Haïti fut le premier pays que vous avez visité. La situation dramatique à laquelle doit faire face ce pays a été largement documentée. Une des lueurs d’espoir pourrait être l’exploitation d’importants gisements d’or. Des compagnies canadiennes détiennent déjà, avec leurs partenaires américains, des conventions ou des licences d’exploration ou d’exploitation couvrant plus de 15 % de tout le territoire haïtien. Rappelons que les entreprises canadiennes assurent presque 50 % des activités minières dans le monde. En matière de développement, toutes les études soulignent le rôle incontournable d’un solide cadre institutionnel. Plusieurs indicateurs peuvent renseigner sur l’existence ou non d’un tel cadre, par exemple la transparence dans les affaires gouvernementales, un faible niveau de corruption et l’égalité devant la loi. Sur ces points, Haïti se situe loin des premières places. Le spectacle de Jean-Claude Duvalier s’affichant publiquement est une proclamation continue de l’impunité qui règne dans ce pays. Ce cadre institutionnel suppose l’existence d’un État capable d’assumer ses responsabilités, mais aussi d’une société civile pouvant remplir pleinement son rôle. Le gouvernement haïtien a récemment mis sur pied le Cadre de coordination de l’aide externe au développement (CAED). C’est certainement un pas dans la bonne direction. Cependant, la question de la compétence du personnel dans l’administration publique se pose. L’un des premiers gestes de l’actuel gouvernement aura été de remplacer le directeur du Bureau des mines, en poste depuis 20 ans, par un néophyte. Parallèlement, un ancien ministre des Finances devenait le conseiller d’une des plus importantes compagnies minières. L’État faible d’Haïti a également le plus bas taux de redevances, soit 2,5 % sur chaque once d’or extraite. L’industrie minière n’est pas reconnue pour être très tendre avec l’environnement. Or, cela doit être un souci majeur en Haïti vu l’extrême vulnérabilité aux ouragans et aux séismes de ce pays presque entièrement érodé. De nombreux secteurs s‘inquiètent donc de la capacité de l’État haïtien de négocier une entente vraiment profitable pour le pays. On est également en droit de se demander si vos propos élogieux concernant les partenariats public-privé incluent une éventuelle participation de l’État haïtien à l’exploitation des richesses de son sous-sol. Pendant des années, un des grands axes de la coopération canadienne priorisait des services de base comme la santé, l’éducation, l’amélioration du secteur agricole et des associations paysannes, ainsi que le respect des droits humains, autant par l’appui aux organismes de promotion des droits qu’aux organisations syndicales, et ce, justement pour renforcer la société civile et mettre en place les conditions du développement. Il serait dommage de faire l’amalgame entre les organismes qui ont porté ces préoccupations de développement participatif et autocentré durant des années et ceux qui ont envahi le pays suite au séisme de 2010, en ignorant complètement les structures étatiques. Ces secteurs attirent notre attention sur les risques de grave pénurie alimentaire suite aux dégâts causés par le cyclone Sandy. Ce serait une occasion de montrer comment une aide humanitaire d’urgence, planifiée avec les autorités haïtiennes, pourrait être structurante. Comme vous le dites, le développement du secteur agricole est un préalable pour toute croissance économique durable. Or, au cours des 40 dernières années, l’agriculture haïtienne a été littéralement détruite au profit d’intérêts commerciaux étrangers. Enfin, une aide accrue aux petites et moyennes entreprises haïtiennes serait un appui direct à la création d’emplois. Il serait désolant que le Canada abandonne le rôle-clé qu’il a déjà joué « dans le cadre des efforts déployés à l’échelle internationale pour aider le peuple haïtien à surmonter les défis immenses auxquels il doit faire face » alors que le taux de décaissement parmi les donateurs du secteur public atteint à peine 53,2 % pour la période 2010-2012 et que les camps des sinistrés du séisme sont laissés à l’abandon. Enfin, en 2011, l’aide au développement dans le monde s’élevait à 0,31 % du revenu national cumulé des pays développés, loin des 0,7 % qu’ils s’étaient engagés à consacrer à l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). La Concertation pour Haïti souhaite vivement que le gouvernement canadien apporte les correctifs nécessaires aux nouvelles orientations de la politique canadienne, avant qu’il ne soit trop tard et pour ce faire, qu’il ne se prive pas de l’expertise précieuse des organismes de coopération et de solidarité qui a fait sa réputation sur la scène internationale. Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, l’assurance de notre considération. Annick Des Granges Pour les membres de la Concertation pour Haïti
Membre du comité de coordination
Concertation pour Haïti
Alternatives
Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI)
Centre justice et foi
Centre international de solidarité ouvrière (CISO)
Comité de Solidarité/Trois-Rivières
Développement et Paix
L’Église Unie du Canada
L’Entraide missionnaire
Terre sans frontières
Documents joints
Les commentaires sont fermés.