L’auteur a accompagné la délégation jeunesse de l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) à la 27e Conférence sur les changements climatiques (COP 27), en novembre 2023, en Égypte. À partir d’un entretien qu’il a eu avec elles, il présente les expériences et perspectives de deux membres de cette délégation : Marie-Hélène Fortier, coordonnatrice de la Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes (CQMMF), et Mollie Dujardin, conseillère en communication et rayonnement au Centre d’étude et de coopération internationale (CECI).
Par : Denis Côté[1], Québec
En novembre dernier, nous étions environ 45 000 personnes d’un peu partout sur la planète, ayant convergé vers la ville balnéaire de Charm el-Cheikh, en Égypte, pour participer à la COP 27. Pour cet important événement, l’AQOCI a élaboré un plaidoyer et mis sur pied une délégation de cinq jeunes femmes issues des mouvements féministe, environnemental, autochtone et de la solidarité internationale. Au nom de l’AQOCI, mon collègue en charge de ce dossier et moi-même accompagnions cette délégation, dans le but de contribuer au plaidoyer en faveur d’une justice climatique féministe et à l’engagement des jeunes du Québec sur ces questions.
Pourquoi participer à la COP
Jeunes, féministes et préoccupées par l’avenir de la planète, Marie-Hélène et Mollie étaient triplement motivées pour participer à la COP 27. Tout d’abord, cela offrait une opportunité de mieux intégrer les questions environnementales dans leur militantisme en faveur des droits des femmes. Pour Marie-Hélène, le fait que le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) mettait de l’avant la question de la justice sociale en lien avec le climat permettait d’établir plus facilement des ponts entre la mission de son organisation, la CQMMF, et les enjeux environnementaux. Pour Mollie qui était surtout impliquée dans le mouvement féministe, cette occasion facilitait le jumelage des deux sujets.
Faire entendre la voix des jeunes constituait une autre motivation pour être à la COP 27, aussi bien pour Marie-Hélène que pour Mollie. Pour cette dernière, « c’est principalement parce que je trouvais que c’était une très belle opportunité pour la jeunesse. Je suis vraiment dans un moment où j’essaie de contribuer à ce que la jeunesse soit considérée. Participer à la COP et accepter que notre voix ait une valeur aussi, y aller même si on se pose des questions et qu’on se demande si notre place est là, c’est un bon début selon moi. »
La participation à la COP était également pertinente pour mieux comprendre comment fonctionnent ces grandes rencontres internationales. « J’avais aussi une motivation très personnelle de savoir comment ça se déroule une COP, parce qu’on en entend parler, mais on ne sait pas trop ce que c’est », mentionne à ce propos Marie-Hélène. Pour sa part, Mollie n’aurait jamais pensé pouvoir participer à ce genre d’événement : « Ça m’a toujours intéressée, mais cela me semblait beaucoup trop gros pour moi, pour que je m’y inscrive sur une base individuelle. Mais le fait que la délégation soit une expérience collective destinée aux jeunes, j’ai vu ça comme un levier ou un tremplin pour vivre une expérience enrichissante. ».
La Déclaration des peuples de la COP 27 réclame la décolonisation de nos sociétés et de nos économies et des changements systémiques pour réaliser la justice climatique.
Ce qui se passe dans une COP
De manière générale, la COP, c’est un rassemblement mondial, une conférence internationale qui sert à discuter des enjeux climatiques. D’un côté, comme le souligne Marie-Hélène, ça ressemble un peu à un forum social mondial… avec beaucoup plus de budget : « Quand je montrais un peu de quoi ça avait l’air à des gens de mon réseau, ils me disaient aussi que ça ressemblait à un gros centre de foire. Il y a des kiosques, des pays et divers groupes ont des pavillons qui présentent des activités et des panels. »
Dans les faits, souligne Mollie, « c’est un endroit super niché et privilégié qui n’est pas ouvert à tous et à toutes. Selon moi, l’accessibilité est un enjeu ». Il y aussi des négociations qui se déroulent, « mais ce n’est pas ce qui décrit le mieux notre expérience de la COP, car la société civile n’est pas pleinement incluse dans ces négociations », ajoute-t-elle.
Et vous, qu’est-ce que vous avez fait à la COP?
Pendant la COP, les déléguées se sont vu offrir la possibilité de participer à des centaines d’activités de toutes sortes : séances plénières, ateliers, panels, événements parallèles, rencontres de breffage, négociations, etc. Parmi la panoplie d’activités auxquelles elle a assisté à la COP, il y en a deux en particulier qui ont retenu l’attention de Marie-Hélène.
Le balado Prendre part porte sur l’implication des jeunes dans l’action climatique.
D’abord, « l’effervescence créée par la présence de Lula, ça a été quelque chose de beau! ». En effet, la présence de l’ancien (et nouveau) président brésilien à la COP, venu proposer d’organiser la conférence mondiale pour le climat en 2025 en Amazonie, a généré un grand enthousiasme au sein de la société civile. Mais le véritable coup de cœur de Marie-Hélène a été la plénière des peuples du 18 novembre, qui a été suivie d’une manifestation dans l’enceinte de la COP. La Déclaration des peuples de la COP 27, adoptée lors de cette plénière, réclame notamment la décolonisation de nos sociétés et de nos économies, ainsi que des changements systémiques pour réaliser la justice climatique.
Au-delà de ces activités formelles, la COP a permis aux déléguées de faire des rencontres, de développer leur réseau, de créer des contacts. Marie-Hélène, par exemple, a pu tisser des liens avec d’autres membres de la Marche mondiale des femmes. Elle mentionne aussi avoir « beaucoup aimé les espaces informels où on pouvait échanger et partager nos réflexions ».
« La place des femmes, des jeunes et aussi des groupes autochtones était surtout symbolique. » (Mollie Dujardin)
Mollie a également participé à de nombreuses activités formelles et informelles, et son coup de cœur a été « la rencontre de nouvelles personnes, et particulièrement de femmes, autant au sein de notre délégation que des gens de l’international ». Mais elle avait également un projet bien précis qu’elle souhaitait réaliser : « Quand on va à la COP, je pense qu’il faut être consciente que ça demande une implication continue et constante. Moi, je l’ai plutôt liée à mon domaine, soit les communications. Mon activité principale a donc été d’interviewer des personnes pour un balado potentiel. » Ce projet, sur lequel elle a travaillé avec Sandrine Hélie, une autre membre de la Délégation jeunesse de l’AQOCI à la COP 27, s’est d’ailleurs concrétisé en février dernier avec le lancement du balado Prendre part, qui porte sur l’implication des jeunes dans l’action climatique.
Enfin, la délégation jeunesse de l’AQOCI à la COP 27 a aussi eu l’occasion de présenter le document de plaidoyer de l’AQOCI au ministre québécois de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques lors d’une rencontre organisée par le gouvernement du Québec avec la société civile.
Quelle était la place consacrée aux femmes, aux jeunes et à la société civile en général à cette COP?
« Peu de groupes ont accès à la COP en raison de barrières structurelles. » (Marie-Hélène Fortier)
Pour Mollie, la place des femmes, des jeunes et aussi des groupes autochtones était surtout symbolique. « En apparence, on leur donnait de la place. Par exemple, je n’avais jamais vu autant de revendications autochtones visibles dans un seul et même endroit qu’à cette COP, mais dans les faits, c’était dans des endroits qui avaient moins d’impact. Ils n’étaient pas dans les négociations et peu dans les panels, mais plutôt dans les manifestations en parallèle », souligne-t-elle.
Selon Marie-Hélène, cette expérience pourrait biaiser la représentativité de ces groupes à la COP. « C’est sûr que nous, on était intéressé.es par leurs sujets, donc on allait les voir. Sauf que, globalement, il y avait une sous-représentation. Il y avait très peu de pavillons qui offraient des activités sur les enjeux féministes, des jeunes ou de la diversité. Globalement, ce qui était mis de l’avant, c’était les positions des personnes avec du pouvoir – donc pas ces groupes-là », explique-t-elle.
« Dans les cercles officiels, la vision féministe est plutôt absente à la COP. » (Mollie Dujardin)
En ce qui concerne la participation de la société civile de manière générale, elle a été restreinte de différentes manières. Selon Marie-Hélène, « peu de groupes ont accès à la COP en raison de barrières structurelles ». Par exemple, « même des réseaux importants de la société civile, comme la Via Campesina, la Marche mondiale des femmes et autres, ont dû mettre leurs ressources ensemble pour avoir accès à un tout petit kiosque. Ce sont des réseaux qui ont beaucoup d’alternatives à proposer, mais qui ne sont pas entendus ». De plus, la tenue de la COP en Égypte, un pays où les droits humains ne sont pas toujours respectés, a eu des conséquences sur la prise de parole et le droit de manifester, comme l’indique Marie-Hélène : « Chez nous, on est habitué dans la vie de tous les jours de parler contre le gouvernement comme si on parlait de notre épicerie. C’est facile, c’est acquis. J’ai eu un choc de voir le privilège que je perdais en Égypte. Il y aussi toute la question du droit de manifester qui était très encadrée, alors qu’on est justement dans une conjoncture où il faut penser en dehors des cadres établis, où il faut déborder dans nos alternatives. »
Dans les cercles officiels de la COP, la vision féministe est plutôt absente. Mais même au sein de la société civile, il y a des rapprochements à faire entre les différents mouvements sociaux pour renforcer le plaidoyer pour une justice climatique féministe. Pour Mollie, « le mouvement féministe et le mouvement climatique ont des revendications et des dynamiques de pouvoir qui sont similaires, mais ils évoluent de manière trop indépendante ou en silos. L’action féministe doit être aussi dans l’action climatique ». Marie-Hélène, quant à elle, souligne que « si les systèmes d’oppression sont imbriqués, on ne peut pas les combattre isolément. Il faut allier nos analyses sur les causes. Il y a quelque chose à gagner en alliant nos mouvements parce qu’au final on combat les mêmes systèmes d’oppression ».
Qu’est-ce que ça a donné, cette COP?
Le premier constat, comme le fait remarquer Marie-Hélène, c’est que « on a de la difficulté à être ambitieux et à se mettre concrètement en action à la suite des décisions qui sont prises aux COP ». Le niveau d’ambition affiché dans les COP n’est certainement pas à la hauteur de ce qui doit être fait, de ce qui est mobilisé comme énergie et comme ressources pour cet événement.
Pour la première fois, un accord est survenu visant à fournir un financement pour les pertes et préjudices aux pays vulnérables durement touchés par les catastrophes climatiques.
Malgré tout, les déléguées ont relevé deux éléments positifs principaux. Le premier concerne les avancées sur la question des pertes et préjudices. Revendication importante portée par les pays du Sud, la question des pertes et préjudices renvoie au dédommagement financier pour les impacts des changements climatiques qu’il est impossible d’atténuer et auxquels on ne peut pas s’adapter. Pour la première fois, lors de cette COP 27, un accord est survenu visant à fournir un financement pour les pertes et préjudices aux pays vulnérables durement touchés par les catastrophes climatiques. « J’ai trouvé intéressant que les personnes dont les voix ne sont pas entendues généralement se soient alliées pour amplifier leurs voix et leurs revendications et, pour une fois, j’ai l’impression qu’elles ont été vraiment entendues. Et elles n’ont pas lâché le morceau. Elles se sont acharnées pendant les négociations. C’était incroyable à voir. Mais c’est dommage que ça prenne tout ce travail seulement pour qu’on considère leurs préoccupations », note Mollie.
Le deuxième élément positif, c’est le fait que la COP a eu lieu en Afrique. Pour Mollie, « même si c’était dans un pays comme l’Égypte, il faut que ces discussions aient lieu ailleurs que dans des sphères privilégiées en Occident. C’est loin d’être un pays qui respecte les droits humains sur une base quotidienne, mais justement, le fait que ça ait lieu dans des endroits comme ça, ça nous permet d’en parler et de mieux comprendre la réalité de ces personnes-là ».
Est-ce que ça vaut la peine d’y participer? Comment évaluez-vous expérience?
En général, les déléguées ont trouvé leur expérience enrichissante et très bénéfique sur le plan personnel… mais aussi déstabilisante. D’abord, elles ont toutes les deux souligné qu’elles ont beaucoup appris et qu’elles ont été de véritables « éponges » pendant la COP. « Ça a été très enrichissant parce que mon expérience a été d’entendre des populations qu’on n’entend pas beaucoup. La COP, on la fait à notre image aussi. Moi, mon expérience a été très centrée sur les femmes et les communautés autochtones », note Marie-Hélène.
Leur participation leur a aussi donné de l’énergie et a été, pour Mollie, « comme une bouffée d’air frais ». Cette dernière a ajouté que « découvrir qu’on n’est pas toute seule dans cette lutte, qu’il y a plein d’éléments qui s’entrecoupent et qu’il y a plein d’autres mouvements sociaux et de revendications sociales qui sont intrinsèquement liés à la justice climatique, ça a été un de mes coups de cœur… Je n’ai jamais été aussi active qu’en revenant de la COP. Ça m’a vraiment donné beaucoup d’énergie parce que j’ai rencontré des personnes inspirantes ».
L’expérience de Marie-Hélène va aussi dans le même sens : « J’ai senti pendant ces journées-là que je me suis radicalisée dans mon analyse… Associer aux enjeux des visages, des relations, des gens que tu apprends à connaître et pour qui tu développes des sentiments, ça nous rapproche des vécus qui se passent ailleurs. »
Mais certains éléments les ont déstabilisées, en particulier le sentiment d’imposture qu’elles ont éprouvé, comme le souligne Marie-Hélène : « Le sentiment d’imposteur, je l’ai vécu avant et encore maintenant. Est-ce que c’est bon que moi, j’y participe? Ça a été une grande opportunité d’apprentissage. Mais est-ce que je vais pouvoir redonner, partager cette expérience?… » Même son de cloche du côté de Mollie : « Je pense que ça a été ultra bénéfique sur le plan personnel, mais je pense que, après réflexion, j’aurais préféré qu’une personne encore plus spécialisée que moi dans le domaine puisse vivre cette expérience-là, en particulier une personne pas du Canada… »
Marie-Hélène souligne que « il faut qu’il y ait cette mise en contact entre les personnes qui participent aux négociations et les personnes qui vivent les conséquences et les groupes qui ont des alternatives à proposer et qui sont toujours muselés ou mis à la marge ». Mollie, quant à elle, en dépit de ses critiques de plusieurs aspects de la COP, considère que le jeu en vaut la chandelle : « Je pense que les COP sont fondamentales parce que c’est souvent le seul moment où certains groupes ont accès à leurs dirigeants, aux parties prenantes de la sphère décisionnelle de leurs pays. » En revanche, selon elle, « il ne faut pas que la COP devienne un espace qui perpétue des inégalités et des systèmes qu’on essaie de déconstruire. Avec la COP 28 qui sera présidée par quelqu’un de haut placé dans l’industrie pétrolière, ça envoie un message contradictoire. Ce n’est pas la COP qu’il faut remettre en question, mais les processus et les structures qui ne sont pas adaptés pour arriver à être justes, non discriminatoires, inclusifs. »
Notes biographiques
Marie-Hélène Fortier ne s’intéresse pas seulement aux individus, mais à leurs interactions. Par sa formation en travail social et ses expériences auprès de personnes en situation de pauvreté, elle considère nécessaire de lutter pour que la société s’adapte aux différentes réalités. Et quoi de mieux que le milieu communautaire pour exprimer ses valeurs féministes et écologistes, le poing en l’air? Aujourd’hui, en toute cohérence avec ses valeurs, elle travaille à la Coordination du Québec de la Marche mondiale des femmes (CQMMF). C’est avec ce chapeau qu’elle a participé aux échanges à travers son implication dans la délégation jeunesse de l’AQOCI, pour contribuer à l’approfondissement d’une analyse qui articule genre et environnement.
Toujours tournée vers l’avenir, Mollie Dujardin est une jeune femme ambitieuse, enjouée et dynamique. Profondément guidée par ses convictions féministes, elle est animée d’une vivacité remarquable lorsqu’il en est question. Avec une maîtrise en études internationales, une aisance dans le domaine des communications et une détermination sans équivoque, elle croit fondamentalement qu’il faut s’impliquer dans la vie citoyenne si l’on veut apporter de réels changements et avancer vers l’égalité sociale. Villageoise urbaine, Mollie pense que l’implication des femmes est indispensable dans l’action climatique. Les pieds ancrés dans la société québécoise, le cœur vibrant pour la lutte féministe et la tête orientée vers le monde, elle est ravie d’avoir fait partie de la délégation jeunesse de l’AQOCI à la COP 27.
___________
[1] Denis Côté, analyste des politiques (spécialiste des questions de l’environnement) et Martin Portocarrero Incio, chargé de programmes (environnement, jeunesse et sécurité) à l’AQOCI, ont accompagné la délégation jeunesse à la COP 27.
Les commentaires sont fermés.