Le récent budget du gouvernement conservateur fait de facto disparaître l’Agence canadienne de développement international (ACDI). Cette agence qui a été créée en 1968 était responsable de l’administration de l’aide internationale du Canada. Au-delà du milieu de la coopération canadienne, la disparition de l’ACDI semble être reçue avec une certaine indifférence.
L’aide internationale est du même acabit que la protection de l’environnement. Il s’agit d’enjeux qui ne semblent pas toucher les citoyens directement, mais qui, sans le réaliser, ont de profondes et souvent dramatiques répercussions au niveau global. Cela amène les pays responsables des problèmes de pollution planétaire, qui génèrent les changements climatiques, à investir pour prévenir et atténuer l’impact de leur développement industriel. De même, les pays responsables des impacts du néolibéralisme qui fomentent les inégalités sociales et les conflits doivent pareillement faire leur part pour réduire, même modestement, les écarts économiques. On vient ainsi aider et assister les populations victimes des conflits et des catastrophes climatiques sans se soucier de leur origine.
L’ACDI était justement responsable d’assurer que le Canada fasse sa part dans la réduction des inégalités sociales et économiques, dans le monde. En intégrant l’ACDI au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, ce n’est pas seulement la disparition d’une grande institution marquée par le passage notamment de Maurice Strong et Paul Gérin-Lajoie, c’est également la fin de la participation du Canada aux efforts impartiaux pour venir en aide aux pays en situation post-conflit ou peu développés économiquement.
Bien sur, l’aide a toujours été un instrument politique. Il serait effectivement naïf de croire que l’aide se distribue de manière désintéressée. Son impact est également parfois décevant et les remises en question et les échecs sont nombreux. Mais grâce à la compétence de l’administration publique en place dans cette institution, et au leadership ministériel qui y était parfois associé, l’ACDI réussissait à se démarquer. Elle faisait en sorte que les efforts consentis avaient une certaine indépendance des intérêts politiques, et servaient directement à l’amélioration du bien-être des populations visées.
Qui plus est, l’ACDI était une interface où les organisations civiles de coopération – les organisations non gouvernementales (ONG) – pouvaient espérer échanger avec le gouvernement sur ce qui se passe à travers le monde et participer à la construction de la politique étrangère canadienne.
Ainsi, au-delà du cynisme lié à cette instrumentalisation, l’ACDI était le dernier château fort de l’aide canadienne et un patrimoine de savoir-faire et d’expertise reconnus internationalement. Elle disposait d’une forte identité et ses fonctionnaires, quoique muselés, représentaient l’un des piliers de notre société civile engagée internationalement. Elle reflétait la vitalité de la société civile canadienne patiemment construite au cours des quarante dernières années. L’ACDI était empreinte de leurs valeurs de coopération, d’humanisme et de solidarité internationale, loin des discours néolibéraux de l’aide qui favorisent aujourd’hui plutôt les investissements privés et les résultats immédiats.
Alors que l’on parlait d’une transformation de l’aide, la fermeture de l’ACDI impose une rupture complète avec l’internationalisme qui définissait généralement la politique étrangère canadienne des cinquante dernières années. Avec les coupures systématiques dans les programmes de financement pour l’éducation du public, la fermeture d’organismes (Droit et Démocratie) qui ne se conformaient pas complètement aux intérêts du gouvernement conservateur, l’ouverture du Bureau des libertés religieuses et le financement d’organisations confessionnelles, l’aide canadienne est maintenant explicitement une extension des intérêts et de l’idéologie conservatrice à l’international. Maintenant que l’ACDI a disparu, il y a fort à parier que d’autres institutions telles que le Centre de recherche sur le développement international (CRDI) passera également prochainement sous le couperet.
Ainsi, l’aide canadienne étant placée sous l’autorité directe du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, il ne faudra pas s’étonner lorsque le Canada ne répondra plus aux besoins des pays qui subissent de catastrophes naturelles ou climatiques, ou aux populations victimes d’un conflit. Il faudra encore moins se surprendre de voir que les investissements qui devraient servir à réduire les inégalités sociales produisent davantage de pauvreté en favorisant l’expansion de l’industrie minière extractive canadienne.
Bref, il ne faudra pas être surpris si les programmes que l’on continuera d’appeler d’«aide», ne répondront plus aux besoins des autres. Les cordons de la bourse seront désormais encore plus près de nos propres intérêts. N’est-ce pas là une contradiction? Le Canada perd ainsi ce qui lui restait de crédibilité internationale et ses principes d’impartialité, de neutralité et d’humanité, qui sont au cœur de l’action humanitaire contemporaine.
François Audet, Directeur scientifique de l’Observatoire canadien sur les crises et l’aide humanitaire (OCCAH)
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