Pertes et préjudices : une illustration de la fracture Nord-Sud dans les négociations sur le climat
Lorsqu’on parle de justice climatique, on fait souvent référence à la nécessité pour les pays du Nord (qui sont les plus grands responsables de la crise climatique) de réduire leurs propres émissions de gaz à effet de serre (GES) de manière à ce qu’on puisse limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degré ET de financer les besoins en matière d’atténuation et d’adaptation dans les pays du Sud (qui subissent les pires conséquences des changements climatiques même s’ils y ont le moins contribué).
Crédit photo : go_greener_oz
Mais que se passe-t-il quand l’atténuation et l’adaptation ne sont plus des options ? Qu’est-ce qu’on fait quand des îles sont progressivement englouties par les océans ? Qu’est-ce qu’on fait quand des catastrophes naturelles causées par les changements climatiques détruisent des régions entières ou que la désertification fait disparaître les terres dont des communautés dépendent pour leur agriculture ? Ne faudrait-il pas trouver une façon d’appuyer et d’indemniser les communautés affectées ? C’est là qu’intervient la question des pertes et préjudices.
En 2013, le Mécanisme international de Varsovie a été créé pour servir de principal véhicule à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) afin de remédier aux pertes et préjudices liés aux conséquences des changements climatiques. Mais selon le Réseau action climat, ce mécanisme n’a eu que peu d’impact sur le terrain depuis. C’est demeuré un lieu de discussion plutôt qu’un outil pour l’action. Lorsque le typhon Idai a frappé le Mozambique en mars 2019, par exemple, le conseil exécutif était occupé à développer des plans de travail pour sa prochaine réunion à Bonn, pas à répondre aux besoins de la population du Mozambique.
Crédit photo : Climate Centre
La révision de ce Mécanisme international de Varsovie était donc au menu de la COP 25 cette année. L’objectif principal était de trouver des manières de le renforcer et d’en faire un outil concret pour répondre aux impacts des changements climatiques sur les populations les plus vulnérables des pays du Sud. Mais voilà, les négociations dans ce dossier sont rapidement devenues ardues et risquent de ne pas se conclure à Madrid. Pourquoi ? Parce que les pays du Sud, qui subissent déjà de plein fouet les conséquences des changements climatiques, réclament la création d’un mécanisme de financement qui permettrait d’indemniser les pays qui subissent des pertes et des préjudices. Les pays du Nord, qui sont les plus grands responsables de la crise climatique, eux, s’y opposent.
En fait, le dossier des pertes et préjudices est représentatif d’une trame de fond à la COP25 : les pays du Nord refusent d’assumer leur juste part de responsabilité dans la crise climatique et laisse le soin aux pays les plus vulnérables, qui n’ont que très peu contribué à cette crise, de se débrouiller avec les conséquences.
C’est ce qu’on constate notamment lorsqu’on analyse la finance climatique de manière générale. En 2009, par exemple, les pays du Nord se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars US par année à partir de 2020 pour appuyer les pays du Sud face à la crise climatique. La moitié devait aller à des projets d’atténuation et l’autre moitié, à des projets d’adaptation.
Pour des pays qui produisent peu de gaz à effet de serre mais qui subissent déjà les conséquences des changements climatiques (changements dans les précipitations, intensité et fréquence accrue des catastrophes naturelles, désertification, perte de la biodiversité, etc.), le financement de l’adaptation est particulièrement important. Malheureusement, le plus récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur le « Financement pour le climat fourni et mobilisé par les pays développés de 2013-17 » nous apprend que quatre fois plus d’argent (52,4 milliards de dollars US) est allé à l’atténuation par rapport à l’adaptation (13,3 milliards de dollars US) en 2017.
Le même rapport indique qu’en 2017 les pays du Nord ont fourni et mobilisé 71,2 milliards de dollars US en financement climatique. En s’attardant uniquement à ce chiffre, on peut s’imaginer qu’ils sont sur la bonne voie pour atteindre la promesse de fournir et mobiliser 100 milliards par année en 2020. Mais en y regardant de plus près, on constate que le véritable financement fourni par les États du Nord est moins généreux qu’il n’y paraît.
D’abord, le financement privé mobilisé s’élève à 14,5 milliards de dollars, ce qui signifie que la contribution du financement public s’élève à 56,7 milliards. Mais il faut savoir aussi que la majeure partie de cette somme (39,9 milliards de dollars) est en fait constitué de prêts qui devront être remboursés par les pays du Sud. Une fois qu’on a soustrait un autre 2,1 milliards de dollars qui correspond à des crédits pour l’exportation, il ne reste au final que 12,8 milliards fournis sous forme de dons.
Pendant qu’ils peinent à trouver le financement public nécessaire pour assumer leur part de responsabilité dans la crise climatique, ces États n’ont aucun mal cependant à trouver des fonds pour subventionner l’industrie des énergies fossiles. En effet, en 2018 seulement, les États ont subventionné cette industrie, elle-même une des principales responsables de la crise climatique, à la hauteur de 526 milliards de dollars US.
Cette question du financement est centrale. Il faut que les pays du Nord cessent de soutenir les pollueurs et commencent sérieusement à appuyer les pays du Sud les plus vulnérables, tant pour l’adaptation que pour les pertes et préjudices. Tant que les pays du Nord ne s’engageront pas financièrement à la hauteur de leur responsabilité pour faire face à la crise climatique, les chances de voir les négociations menées à la COP aboutir à des changements positifs sur le terrain sont bien minces.
Pour en savoir plus sur l’AQOCI à la COP 25 de Madrid, cliquez ici.
Les commentaires sont fermés.