Du 30 novembre au 13 décembre 2023 se tenait la 28e Conférence des Parties sur les changements climatiques (COP28). Parmi les différents groupes de la société civile des quatre coins du globe qui se sont rassemblés à ce sommet international, le Réseau latinoaméricain pour la justice économique et sociale (LATINDADD) s’est efforcé de faire entendre les voix et les revendications de ses membres.
Présentation du partenaire
Le Réseau latinoaméricain pour la justice économique et sociale (LATINDADD) est un réseau composé d’institutions et d’organisations sociales des pays d’Amérique latine. Ces acteurs ont pour objectif commun de résoudre les problèmes découlant de la crise systémique, à laquelle la crise climatique contribue, et de créer les conditions nécessaires à la mise en place d’une économie au service de la population, dans laquelle les droits économiques, sociaux et culturels sont respectés.
LATINDADD utilise plusieurs stratégies pour porter ses revendications et les faire évoluer à travers les sociétés et pays représentés. Il mène des actions de sensibilisation, de renforcement de capacités, de veille des politiques publiques, d’analyse critique, d’élaboration de propositions alternatives, de pression et de mobilisation de la société civile et ses mouvements sociaux.
Actuellement, 24 institutions et organisations de 13 pays joignent leurs efforts au sein de LATINDADD : l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, l’Équateur, El Salvador, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, le Nicaragua, Paraguay et le Pérou. Ensemble, ils ont pour mission de faciliter l’échange d’information entre les membres, avoir un impact de façon conjointe, contribuer au mouvement citoyen international et à l’intégration régionale et au changement démocratique des relations Nord-Sud.
Dans le passé, LATINDADD a entre autres créé le Réseau stratégique andin et centraméricain contre la dette, qui s’est étendu à d’autres pays du continent, à travers des institutions spécialisées dans ces domaines de travail.
Principales revendications à la COP28
À titre de brève mise en contexte, la dette publique des pays amazoniens atteint des niveaux similaires à ceux observés au début des années 2000, avant les processus d’allègement de la dette multilatérale. Il est très alarmant de constater que plus de 80 % du financement climatique atteint la région par le biais de prêts, dont la majorité sont non concessionnels[1], ce qui augmente la dette extérieure des pays qui sont encore plus vulnérabilisés à la crise climatique et dont les créanciers portent la principale responsabilité de ce problème mondial.
Cela dit, LATINDADD apportait à la COP28 des demandes précises liées au financement climatique, et plus particulièrement aux mécanismes de financement qui devraient être utilisés à l’échelle internationale pour aider positivement les États plus vulnérables à faire face aux conséquences de la crise climatique, et ainsi cesser d’augmenter le fardeau de la dette qui pèse sur eux depuis déjà trop longtemps. À travers le plaidoyer de l’AQOCI, LATINDADD demandait aux États :
- Une réforme de l’architecture du financement climatique de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) qui devrait promouvoir le financement non remboursable et hautement concessionnel pour les pays à faible et moyen revenu, à partir de sources publiques et en plus de l’aide publique au développement (APD), et avec de nouvelles fenêtres d’accès direct pour les populations les plus vulnérables au climat, en particulier pour l’adaptation et pour couvrir les pertes et les préjudices;
- L’allègement de la dette afin de dégager des ressources pour financer l’adaptation et la conservation de l’Amazonie.
D’une part, LATINDADD argumente le fait que la crise climatique est empreinte d’injustices économiques et sociales. C’est pourquoi il exige que ceux qui n’en sont pas responsables soient dédommagés rapidement pour contrer les effets désastreux qu’ils subissent et qui continueront de s’aggraver. À cet effet, une revendication primordiale de LATINDADD est que l’adaptation aux changements climatiques soit véritablement reconnue comme un enjeu urgent, qui ne reçoit pas suffisamment de ressources malgré son urgence. Le financement climatique doit aller principalement à l’adaptation, mais aussi à la couverture des pertes et préjudices inévitables lorsque l’adaptation n’a pas été réalisée à temps.
D’autre part, plus de 60 pays dans le monde entier font face à des problématiques grandissantes en raison de l’endettement. La dette envers les pays créanciers réduit de façon importante les ressources publiques qui devraient être mises à contribution pour les systèmes de la santé et de l’éducation et pour l’action climatique. Cela a pour effet que pour plusieurs pays d’Amérique latine, les montants utilisés pour payer le service de la dette sont 12 fois plus élevés que ceux utilisés pour l’adaptation aux changements climatiques.
Ce que LATINDADD exige, c’est que les pays responsables de la crise climatique– symptôme d’une crise systémique encore plus importante– assument leur responsabilité et mettent en place de réelles mesures pour freiner rapidement les conséquences démesurées que subissent les pays vulnérables.
S’ils veulent être pris au sérieux dans leur désir de transition, LATINDADD demande à ce que les investissements, notamment de fonds publics, dans les combustibles fossiles et les conflits armés soient délaissés par les pays du Nord global. Ces fonds doivent être réorientés le plus tôt possible pour accélérer la mise en place de solutions selon l’agenda climatique.
Pour ce faire, les fonds mobilisés devraient être plus accessibles et distribués de façon plus directe pour que les communautés locales, soient les personnes qui souffrent le plus de la crise climatique, puissent en bénéficier et résoudre des situations climatiques déjà évidentes et hautement dommageables.
Perspectives du CBCS-Network sur les résultats de la COP28
Les avancées et les nouvelles décisions prises lors de la COP28 sont sources d’espoir, mais aussi d’inquiétudes. LATINDADD reste concentré sur les objectifs qu’il souhaite voir se concrétiser même si certains résultats mis de l’avant à la COP28 pourraient laisser croire que la partie est gagnée. En effet, chaque pas vers l’avant apporte son lot de défis pour les pays des Suds.
D’abord, l’opérationnalisation rapide du Fonds pour les pertes et préjudices laisse croire à LATINDADD qu’il pouvait s’agir d’une façon de détourner l’attention d’autres enjeux en lien avec cette COP, soient les conflits d’intérêt d’une industrie pétro-gazière beaucoup trop impliquée à plusieurs niveaux dans la conférence.
Ensuite, les choix qui ont été faits en ce qui a trait au Fonds pour les pertes et préjudices, notamment le fait que la Banque mondiale en sera l’hébergeur, pourraient laisser présager une répétition des erreurs du passé. Un tel fonds a pour objectif la réparation, mais LATINDADD demeure jusqu’à présent préoccupé par le risque qu’il aggrave à son tour le fardeau de la dette des pays qui auront principalement besoin des fonds. Plusieurs critiques sont aussi formulées à l’égard du caractère volontaire des fonds fournis par les États contributeurs. Ne prenant pas en compte la responsabilité historique des pays du Nord global, le versement de fonds n’est pas équitable et ne reflète pas les besoins criants qui devront être comblés.
Sur ce dernier point, la COP28 ayant été le moment de réaliser le bilan mondial des efforts des États Parties dans l’atténuation des changements climatiques et le financement depuis l’Accord de Paris, les résultats se sont révélés alarmants. L’écart entre le financement climatique nécessaire et celui véritablement fourni par les pays contributeurs est inquiétant. Non seulement les 100 milliards de dollars américains qui devaient être versés chaque année depuis 2020 ont pris énormément de retard pour être rassemblés, mais nous savons qu’ils représentent maintenant une goutte d’eau dans l’océan comparativement aux besoins réels. Pour l’adaptation aux changements climatiques uniquement, ce sera entre 215 et 387 milliards de dollars chaque année qui seront nécessaires d’ici 2030.
Par ailleurs, LATINDADD met en garde quant à l’implication du secteur privé dans le financement climatique pour plusieurs raisons. L’une des plus importantes est que ce secteur recherche inévitablement la rentabilité. Ses décisions d’investissements sont par conséquent fondées sur cet objectif. En revanche, le financement climatique, tout particulièrement le financement de l’adaptation et des pertes et préjudices, ne sont pas des sources de rentabilité et ne devraient pas viser la génération de retombées économiques pour les investisseurs, mais plutôt des retombées sociales et environnementales positives pour les communautés locales.
Comme le souligne LATINDADD à plusieurs reprises, les pays du Nord Global cherchent souvent à diluer leur responsabilité lorsqu’il est question de fournir de l’argent. Entraînant d’autres acteurs dans le financement de la crise climatique, ils tentent par tous les moyens de faire croire au manque de fonds publics quand vient le temps de remplir leurs engagements. Pourtant, LATINDADD nous rappelle que des fonds demeurent toujours disponibles pour subventionner les énergies fossiles et financer les conflits armés partout à travers le monde. Quelles sont nos réelles priorités?
Enfin, LATINDADD ne peut témoigner que de déceptions à l’égard de la sous-représentation et du manque d’écoute des peuples autochtones. Bien qu’ils soient parfois invités aux discussions, les décisions ne reflètent pas leurs demandes et leurs réalités.
Activités prévues par LATINDADD en 2024
LATINDADD continuera de prendre part aux COP. Sa présence est primordiale, bien que comme plusieurs acteurs de la société civile, les déceptions soient bien réelles, année après année.
Un des éléments des négociations sur lesquels LATINDADD se concentrera de façon prioritaire au cours de la prochaine année est le Nouvel objectif collectif quantifié– en anglais, New collective quantified goal (NCQG). Il s’agit du nouvel objectif de financement climatique international à déterminer avant 2025.
Pour LATINDADD, les négociations autour de cet enjeu sont une occasion pour la communauté internationale d’apprendre des erreurs du passé en tentant de fixer un nouvel objectif qui répond aux besoins réels des populations durement affectées par les changements climatiques. Cela signifie qu’au-delà de la quantité, soit le montant qui sera déterminé, la qualité des fonds est aussi un élément central sur lequel les Parties devront se positionner.
À titre de rappel, LATINDADD prône la réforme de l’architecture du financement climatique et demande aux États à ce que le financement fourni soit non remboursable et hautement concessionnel pour les pays à faible et moyen revenu. La détermination du NCQG est un moment clé pour résoudre la question de l’architecture financière : y inclure l’endettement des pays du Sud Global; promouvoir d’autres sources de financement; garantir l’accessibilité des fonds par les communautés locales et/ou les groupes marginalisés; et viser un équilibre entre le financement de l’atténuation et de l’adaptation. Il s’agit d’une occasion pour les pays riches de montrer le sérieux qu’ils accordent au financement climatique dans une perspective de responsabilité commune mais différenciée.
Parmi les actions fortes que LATINDADD prévoit effectuer d’ici la prochaine COP, 5 rapports seront lancés. Ces rapports sauront démontrer une dynamique observée dans plusieurs pays d’Amérique latine, où l’on voit s’enchaîner un cercle vicieux dans le cadre duquel l’endettement et les activités extractivistes se renforcent mutuellement. Coincés dans l’impossibilité de mettre en marche leur transition, les pays concernés se voient plutôt contraints de générer des fonds pour payer leur dette en misant sur des activités liées aux hydrocarbures et à l’extraction minière. La transition devient pour eux un mirage, ou encore un privilège réservé aux pays riches.
Cet article a été rédigé par Noémie Lefrançois, déléguée jeunesse à la COP28 de l’AQOCI et diplômée d’une maîtrise en politiques appliquées de l’environnement, en collaboration avec Carola Mejía, analyste en finance climatique avec le Réseau latino-américain pour la justice économique et sociale (LATINDADD)
[1] Un prêt concessionnel est un prêt dont le taux d’intérêt est inférieur aux taux du marché. Un prêt non concessionnel est donc un prêt aux taux d’intérêt du marché.
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